samedi 6 janvier 2018

Internet ou l'invasion barbare

Alessandro Baricco, écrivain italien contemporain a écrit et publié un essai sur la mutation de civilisation engendrée par Internet, Les Barbares, écrit en italien en 2006 et publié chez Gallimard en 2014. Peut-être que certains d’entre vous l’ont lu. Pour écricre ce texte que je qualifierais de  sacrilège, iconoclaste ou hérétique mais salutaire, l’auteur prend de la hauteur et observe le phénomène de loin dans sa généralité. Ce point de vue me permet de prendre la mesure de mes observations de « vierges effarouchées » sur des changements constatés là, pas plus loin que le bout de mon nez.

Quels arguments  faut-il utiliser pour vous convaincre de lire cet ouvrage ?
Alessandro Baricco est un écrivain qui raconte des histoires captivantes mais surtout, il utilise un langage simple, court, léger, efficace et d’un charme si subtil que je n’ai encore jamais rencontré quelqu’un qui m’ait dit ne pas aimer ces livres. Ceux d’entre vous qui ont lu son petit roman Soie en savent quelque chose.
Dans Les Barbares, l’humour et la bienveillance avec lesquels l’auteur nous fait suivre ses réflexions ne peuvent que vous séduire.
Son analyse de la mutation à laquelle nous sommes confrontés n’est jamais pessimiste. Je la trouve même particulièrement « soulageante », si ce n’est revigorante. Ce qui est bienvenu dans l’atmosphère mortifère enveloppant habituellement le thème du changement de civilisation.

Impossible de résumer un tel ouvrage car c’est avant tout son style qui fait son charme. Voici quelques exemples du basculement auquel on assiste: la profondeur est remplacée par la surface, le progrès par la différence ou le pas de côté, l’effort, par la vitesse. Avant, les valeurs étaient à rechercher dans les origines, l’authentique (avec leurs risques : nationalisme par exemple), alors qu'aujourd'hui on les trouve dans  le spectaculaire (avec ses risques : le tout et n’importe quoi commercial par exemple), etc.  Difficile, le choix d’une citation. J’ai choisi deux comparaisons : celle avec la révolution de l’imprimerie, et celle qui concerne la notion du savoir.

« Je sais, il y a une objection de taille : ce qui se trouve sur la Toile, si énorme celle-ci soit-elle, n’est pas le savoir. En tout cas, pas tout le savoir. Bien qu’elle corresponde souvent à une certaine incapacité à se servir de Google, cette objection est sensée. Mais ne vous faites pas d’illusions. Pensez-vous que ce ne fut pas la même chose pour l’imprimerie et Gutenberg ? Vous représentez-vous les tonnes de culture orale, irrationnelle, ésotérique qu’aucun livre imprimé n’a jamais pu contenir ? Y pensez-vous, à tout ce qui a été perdu parce que ça n’entrait pas dans les livres ? Ou à tout ce qu’on a dû simplifier, voire dégrader, pour réussir à en faire de l’écriture, du texte, un livre ? 
...
 Ce que Google enseigne, c’est qu’il y a aujourd’hui une quantité énorme d’humains pour qui, chaque jour, le savoir important est le savoir capable d’entrer en séquence avec tous les autres. Il n’y a quasiment pas d’autre critère de qualité ni même de vérité, car ils sont engloutis par ce principe unique : la densité du Sens est là où le savoir passe, où le savoir est en mouvement, tout le savoir sans exclusion. L’idée que comprendre et savoir signifient pénétrer en profondeur ce que nous étudions, jusqu’à en atteindre l’essence, est une belle idée qui est en train de mourir. Ce qui la remplace, c’est la conviction instinctive que l’essence des choses n’est pas un point mais une trajectoire, qu’elle n’est pas cachée en profondeur mais dispersée à la surface, qu’elle ne demeure pas à l’intérieur des choses mais se déroule hors d’elles, là où elles commencent réellement, c’est-à-dire partout. »


Mais Alessandro Baricco n’est pas un naïf  qui nage dans un océan d’optimisme sans écueils et sans limites. En écrivant cet essai, il veut nous montrer que la mutation est inéluctable et qu’elle comporte des risques. C’est pourquoi, au lieu d'accorder presque tous les moyens éducatifs, culturels et financiers pour faire durer l’agonie d’une civilisation qui se meurt, il faut les consacrer à accompagner le plus intelligemment possible celle qui vient de naître.