lundi 23 octobre 2017

Dégâts d’image


Cette expression utilisée dans les domaines politique et économique, je la transpose ici dans le domaine psychosociologique. Parce que le contenu de notre discours peut être délétère pour l’image que l’autre se fait de nous. Cette formulation s’est imposée à mon esprit suite à  l’exclamation suivante qui me fut adressée il y a peu: « Ça je ne pourrais jamais ! » Je l’ai reçue alors que je me situais en mode « émotionnel », donc je l’ai traduite comme une critique personnelle plutôt que comme un avis personnel sans plus. Car je ne crois pas me tromper en constatant que, pour beaucoup, les vacances au camping, ça fait vraiment très « ordinaire ». Conséquence: une cascade de souvenirs ayant comme caractéristiques le fait de me rappeler ma situation originelle. 

Le contexte
L’ interlocuteur vient d’un autre monde, un monde situé à des années lumières du mien. Par 
miracle ou magie, un fil ténu mais durable nous relie. Lors de notre dernière rencontre, il me parle d’une de ses invitations à laquelle je n’ai pas répondue. Je lui en donne la raison: « J’étais en vacances ... au camping! » Et c’est là qu’il me rétorque: « Ça je ne pourrais jamais ! »

Des souvenirs 
Les années d’école secondaire dans une école privée où la grande majorité des élèves étaient des filles de familles citadines aisées, merveilleusement bien habillées, faisant des prouesses en salle de gymnastique. Ce lieu et cette discipline, quelle découverte ! Et la piscine ! Nous étions deux, pâles comme des cadavres, accrochées au rebord du bassin où nous n’avions pas notre fond, attendant que les autres aient « fait leurs longueurs » ou exercé leurs plongeons.
Les amours adolescentes et le regard fuyant (au mieux) ou méprisant de ceux qui faisaient battre le cœur. 
Le milieu professionnel où certains médecins-chefs ne daignaient pas saluer en arrivant et 
donnaient les « ordres » sans un regard.
Les séances de travail en tant que déléguée de l’ASI, avec les directeurs des départements cantonaux des affaires sanitaires et des membres de la FMH pour la reconnaissance de la profession et son besoin d’intégrer les filières de formation normales, prises de parole et tours de tables polis mais l’atmosphère y était étouffante de condescendance. 
Ce sont là quelques exemples qui me reviennent en mémoire aujourd’hui parmi bien d’autres. 


Tentative de compréhension 
Ce que je nomme « mondes » le sociologue Bourdieu, les appelle « champs ». Les habitants de ces « mondes » se définissent comme les individus qui, reconnus par leurs pairs, sont en mesure de se soustraire à des intérêts externes, d’apprécier la valeur d’enjeux internes, d’agir selon des normes, se distinguant de la sorte des autres hors champ, en vue de faire ce qu’ils sont les seuls capables de faire. Il existe donc des conditions plus ou moins formalisées pour entrer et existerdans un monde.

Pierre Bourdieu met l’accent sur la capacité des individus en position de domination à imposer leurs productions culturelles et symboliques. Il parle même de violence symbolique pour définir la capacité à faire méconnaître l’arbitraire de ces positions symboliques, et donc à les faire admettre comme légitimes. 

Ce qui donne de l’audace
Les lectures qui enseignent ce qu’est la liberté et la responsabilité que l’on se doit de donner à sa propre existence. Les formations de toutes sortes. La famille, proche et élargie. Les amies au fil des âges de la vie.  Le « faire », peu importe le domaine dans lequel il s’exerce. (Ce « faire » où  il arrive parfois de frôler d’autres mondes). 

Au camping
Au cœur de la nuit, seul le cinglement soudain de la pluie sur le toit parvient à déchirer le silence. Ce silence absolu, absent des nuits au 6e sur le boulevard.
Seule et pourtant jamais seule. Il y a toujours quelqu’un prêt à venir à l’aide. Une coquille petite mais solide qui contient tout ce qu’il faut. La lumière y pénètre de partout. Devant, une terrasse abritée pour goûter à l’air de la campagne et aux chants d’oiseaux. Tout autour des haies fleuries soigneusement taillées par les jardiniers.
Dans la quiétude de cet ermitage, le doux chant automnal du rouge-gorge qui sautille dans l’herbe devant la terrasse du mobilhome interrompt la rêverie. Midi: il est temps d’aller nager dans la piscine chauffée du camping. 

Ma vie en deux mots:  « Ça je pourrais ! » Quelle richesse...

mercredi 4 octobre 2017

Un souvenir de Laconie


Ste Sophie XIIe s. / Monemvasia
Monemvasia, l’endroit peut-être le plus touristique de la Laconie en Grèce. Un Mont-St-Michel en miniature, mais ocre et grillé par le soleil, il faut monter sur le rocher pour admirer Ste Sophie, cette église du XIIe s. magnifiquement restaurée il y a peu, et les toits de la ville sur fond de mer turquoise intense.

Tes blanches mains
Qui imprégnaient de baumes nos plaies
Se convulsent à présent liées dans le dos
Sur la croix de ton corps
Comme si elles étaient, ma sœur,
Des mains de larron.
Ton corps frêle s’enveloppe
Du manteau de cendre de la démence.
Tes yeux en sont restés
Deux tours de verre inhabitées
Et y tournent égarées
Les ombres du passé.
Te souviens-tu ?
Elle t’avait jadis offert, la mère,
Une robe rose
Et un petit parapluie rose.
Tu grimpais la pente fleurie
Dans le matin printanier
Aérienne et diaphane
-       une nuée rosée de lumière.
Tu regardais le ciel
Comme si quelque chose d’en haut t’invitait.
Seules les nattes affligées
De tes cheveux noirs
Alourdissaient tes frêles épaules.
J’avais peur qu’en un instant tu ne périsses
Semblable à la lumière rosée
Dans le couchant.
Je me penche près de toi et je t’apporte
Nos matines enfantines
Pour que tu respires profondément
L’odeur salée de notre île,
Les murmures du soir
Et ayant traversé la brume du retour
Que tu abordes à mon côté.
Dans la petite ruelle aux pavés millénaires, il est une minuscule échoppe où beaucoup trouvent de l’eau pour adoucir les assauts d’un roi Soleil trop fougueux. Sur la porte ouverte,  deux ou trois longues élastiques retiennent inclinés des petits livres à la  révérence discrète. Surprise ! Quelques uns sont en français.  
Mon frère Michel choisit un guide historique de la ville. Il nous en parlera au souper, sur la terrasse ombragée par les tamaris du port de Néapoli où nous séjournons. Ma sœur Blandine emporte un petit ouvrage de Georges Vizyinos, Le péché de ma mère. « Impressionnant ! » me dira-t-elle un peu plus tard. Quant à moi, je tombe par hasard sur un poète du lieu, à la destinée peu commune  (comme on peut le lire sur Internet): Yannis Ritsos. Un tout petit livre en deux langues : grec à gauche et sa traduction française sur les pages de droite. Le Chant de ma sœur. L’auteur adresse un long poème à sa sœur aînée Loula, enfermée dans un asile psychiatrique. Ce sont quelques extraits de ce beau texte, que j’avais envie de partager ici avec vous. Il va sans dire que je vous invite à lire cet écrivain mondialement reconnu, né en 1909 et mort en 1990.