mercredi 17 mai 2017

Le culte des morts

Chemin de Compostelle: Ste Apolline FR Suisse

"Le culte des morts est une pratique religieuse très ancienne et quasi universelle, laquelle, à l’origine, consistait à honorer les morts de la famille ou des ancêtres plus ou moins légendaires, mais aussi à se protéger d’eux, à les consulter ou à leur demander de l’aide. Le culte des morts suppose la croyance en une forme de permanence de l’être après la mort. Les rituels funéraires, apparus il y a environ 100 000 ans, sont d’ailleurs considérés comme les premiers témoignages du sentiment religieux."

Vous connaissez peut-être quelqu’un qui se rend encore régulièrement au cimetière pour  se recueillir sur une tombe. « Encore » car cette pratique tend à disparaître et j’y pense beaucoup quand je me rends sur la tombe de mes parents.

J’aime beaucoup cette promenade d’une heure (ou deux si je rentre à pied aussi) car, entre mon domicile de Fribourg et Matran, je marche dans les pas des pèlerins de  Saint Jacques de Compostelle. Avant hier le chant des oiseaux et le murmure de la rivière recouvraient  le bruit de la route au loin. L’aspérule odorante embaumait le sous-bois et la senteur sucrée du colza en fleurs donnait à mon chemin son  suave parfum.

J’aime marcher en fin de journée. Peu importe le temps qu’il fait, j’ai envie de sortir prendre l’air après des heures d’enfermement plus ou moins fructueux, pour mettre en marche les roulements à billes de ma pensée. En réfléchissant au titre que j’allais donner à cet article, une formule parasitait mon esprit : « J’irai cracher sur vos tombes », le titre du livre écrit par Boris Vian. Sauf que moi, je ne vais pas cracher sur la tombe de mes parents. Bien au contraire, c’est une visite remplie de tendresse que je leur rends. Un sentiment que je ne leur ai pas suffisamment témoigné pendant leur vie.

C’est un culte des morts non pas religieux mais affectueux que je peux leur  adresser aujourd’hui. Car, depuis leur  départ,  mes jours ont  peu à peu déposé sur eux le terreau fertile qui produit les fleurs et fruits du souvenir, enfouissant à jamais cailloux et mauvaises herbes.  

Le culte des morts, une pratique en déclin
Il y a plusieurs explications à la disparition progressive du culte des morts au XXIe s.
-       Le manque de temps par sollicitation extrême de notre environnement  résultant de nos multiples connexions aux divers moyens de communication et d’informations. Ceci s’ajoutant aux pressantes demandes professionnelles, familiales et sociales. Et, dans cette intensité du présent le futur apparaît si inquiétant qu’on s’y prépare avec frénésie dans l’illusion d'avoir prise sur tout et de pouvoir se prémunir contre tout. Sachant bien, pourtant, que rien n’est plus imprévisible que « demain ».
-       Le manque d’un lieu attribué à un défunt en particulier à l’heure où le  « columbarium » ou autre « jardin du souvenir » anonymise la sépulture. Et la dispersion des cendres participe de ce même phénomène.
-       La transformation des croyances et des rites. La croyance en une forme de permanence  de l’être après la vie, quand elle persiste, prend d’autres formes que celles qui avaient cours par le passé. Et l’on éprouve de moins en moins le besoin de demander de l’aide à nos défunts et encore moins le besoin de s’en protéger.

J’aime aller sur la tombe de mes parents, leur dernière demeure terrestre. Certes elle n’est pas esthétiquement remarquable, mais c’est celle qu’avait choisie mon père pour ma mère d’abord et pour lui quand viendrait l’heure. Elle se situe en plein soleil, au pied du mur de la magnifique église du village, dans le cimetière qui est leur dernier village terrestre, là où ils ne seront jamais seuls. D’ailleurs,  vous  avez tous à l’esprit les nombreux cimetières visités un peu partout mais toujours dans des endroits de toute beauté. Jamais désertés, des lieux paisibles, fleuris en permanence.

J’aime aller sur la tombe de mes parents avec mes petits-enfants. Les deux petits, assis sur le monument, les questions pleuvent alors que je plante mes oignons de tulipe. « Pourquoi ils sont morts ? Pourquoi on les a mis dans la terre ? Ils sont où maintenant ? Et toi, tu vas bientôt mourir ? Pourquoi on leur apporte des fleurs ? … »


J’aime à penser que mon corps sera enterré dans une tombe qui sera ma dernière demeure terrestre dans mon dernier village terrestre. Et que même si personne n’y vient jamais, les papillons et les oiseaux y viendront, sachant qu’en dessous, leur vol coloré et leurs chants incessants seront éternellement appréciés.

samedi 6 mai 2017

Le dimanche matin à la cuisine

Au fourneau !

Chez nous, tous mes dimanches matin sont consacrés à la préparation du repas familial de midi. Et ça rend ma vie très belle.
Avec les années, les convives ont un peu changé. Certains, toujours présents dans les cœurs, sont à jamais absents de la table. Certains se font rares. Certains ont vieilli. Et des nouveaux sont arrivés et avec eux le printemps.  Une condition : ne viennent que ceux qui en ont envie !

Parfois, la préparation du repas commence déjà le samedi soir. Comme ma maman le faisait. C’est surtout vrai pour le repas de Bénichon que je ne conçois pas autrement que « complet ». Mais en général, je commence vers huit heures trente, étalant les diverses étapes de la préparation des aliments sans stress, pour que le repas soit prêt vers midi. Dans la rue et dans l’immeuble  le silence domine. J’en jouis pendant deux bonnes heures puis je « mets » la radio sur mon téléphone, de la musique classique (réécoute de Inédit sur Espace 2) qui me permet de penser ou une sélection de variétés que j’ai sélectionnées sur YouTube qui me donnent la pêche et l’envie de danser.

J’aime manger et mon plaisir commence dès l’achat des ingrédients au marché près de chez nous. Le maraicher est mon petit cousin. Il ne s’affiche pas bio mais je suis intimement persuadée que sa marchandise est la meilleure au monde. D’ailleurs ça se voit sur lui et sur ses vendeurs. Le poissonnier est pêcheur sur le lac de Neuchâtel et je suis sûre que c’est parce qu’ils ont passé une vie heureuse au large de Chevroux que sa palée ou son omble chevalier se laissent prendre dans ses filets. Et le boucher peut aussi me dire dans quel pâturage paissent les animaux qui finissent sur son étal. C’est grâce à tout ce petit monde que je me réjouis tant de régaler le mien, de monde,  le dimanche.

J’aime manger et mon plaisir vient du toucher des légumes frais : laver et enlever la tige de chaque feuille du kilo et demi d’épinards de printemps ; peler les carottes et les pommes de terre ; laver une montagne de feuilles de salade (car ils aiment tous la salade… sauf moi) ; étouffer l’ail et pleurer les oignons… Les adultes aiment les légumes pour ce qu’ils sont : des saveurs à chaque fois redécouvertes parce que saisonnières. Mais les enfants ! Comment les leur préparer pour qu’ils y goûtent ? Crus à l’apéritif ? En beignets ? En soupe ? En petits flancs ? En galettes ? Heureusement qu’il y a le dessert qui assure du plaisir à chacun car je le conçois comme un pas de deux : glace avec coulis ou salade de fruits ou petits biscuits faits maison ; cake au chocolat et salade de fruits ; crèmes et fruits ou un essai avec fruits de saison.

J’aime manger et de temps en temps, je tente une nouvelle recette. Nouvelle parce trouvée sur Internet, dans une revue, ou dans un de mes nombreux livres de recettes prenant la poussière sur l’étagère. Nouvelle parce que j’ai envie d’essayer moi, de nouvelles associations que j’imagine goûteuses au possible. La réussite n’est pas toujours au rendez-vous, mais les convives sont si indulgents que l’envie de renouveau me prend régulièrement. Pourtant, j’ai un faible pour les anciennes recettes mijotées pendant des heures dont le parfum donne sa couleur à mon dimanche.

Ce que j’aime par dessus tout, c’est préparer de bonnes choses à manger pour ceux que j’aime. Je ne sais pas vous, mais moi, depuis toujours, dès que j’aime quelqu’un, j’éprouve une envie irrésistible de lui préparer quelque chose de bon à manger. Pas de lui acheter du bon chocolat ou une bonne bouteille, ni des biscuits ou autres spécialités proposées sur mon chemin, mais quelque chose que j’ai fait moi, pour lui en particulier. Car je crois à la magie. Je sens au plus profond de moi, que celui qui  mangera ce que je lui ai préparé avec tant de plaisir, en ressentira forcément physiquement et psychiquement les effets bénéfiques.


Et ça, ça déborde les dimanches matins.

lundi 1 mai 2017

Education des enfants et tournage en poterie : similitude des arts. (3)

L'objet de la poterie est un volume creux, créé de l'intérieur.
Un pot entoure un vide et c'est ce vide qui lui donne forme et vie. »

Volume creux, créé de l’intérieur
Précision, constance et douce fermeté sont les instruments indispensables au travail de la terre sur le tour. On l’a vu précédemment pour le centrage de la balle d’argile. Leur importance est évidente à l’étape suivante, celle du creusement de la balle.
Le pouce s’enfonce verticalement le long de l’axe et évide la masse au centre. Puis on écarte les parois depuis le bas. A ce stade on sent déjà les virtualités de l’argile. Les deux mains s’accordent pour exercer la pression qui fait monter les parois du cylindre et lui donne une forme. C’est la création de son espace intérieur où subsistent parfois quelque aspérité, quelque infime renflement, qui participent à son unicité.

Dès que le petit enfant fait des ébauches de phrases, on sent les virtualités de ces petits êtres humains. Alors que j’ai grand peine à contenir mon envie de le remplir de mes savoirs, de mes manières de faire, ce dont mon enfant a réellement besoin c’est de vide, d’espace, aménagés dans un contenant rassurant et chaleureux. Dans ce volume creux que je crée de l’intérieur, son imaginaire circulera librement, en sécurité, car ses parois sont solides. Solides mais pas lisses et rigides car mes propres aspérités et renflements éventuels lui enseigneront mon imparfaite personnalité. Solides mais pas lisses et rigides car l’enfant qui remplira l’espace que je lui aménage entre ces parois les modifiera aussi, en les confrontant avec sa propre personnalité.

Un pot entoure un vide et c’est ce vide qui lui donne forme et vie
C’est peut-être dans cette plasticité des parois de l’objet que ma comparaison entre la poterie et l’éducation trouve sa limite… et encore.
Un bol, un vase, un pot, à la sortie du four n’est plus une forme malléable alors que l’homme est en état de perpétuelle transformation. Cependant, même une poterie subit des modifications avec le temps, modifications voulues ou non.
Des mutations internes : qui n’a jamais constaté des fendillements dans l’émail ?
Des modifications d’apparences selon son éclairage, son environnement.
Des mutations historiques : sa forme, son usage et même ses décorations peuvent passer de mode.
Que je le veuille ou non, que j’en sois consciente ou non, j’évolue sans cesse, soumise aux aléas de ma propre vie et de celle de mes proches. Et pour le reste de mes jours, c’est cette forme à qui j’ai donné vie, cet espace dans lequel une personnalité s’est développée, c’est cet enfant qui sera pour moi un des facteurs les plus importants de ma propre évolution.


Dans l’art de la poterie, un pot entoure un vide et c’est ce vide qui lui donne forme et vie. Dans l’art de l’éducation, un parent entoure un enfant et c’est cet enfant qui lui donne forme et vie… entre autres !