jeudi 15 juin 2017

A quoi ça sert de mettre de la couleur ?

Marguerite Yourcenar
Hier soir, en me basant sur une photo noir/blanc dans Google Image, j’ai dessiné, au porte-mine, ce portrait de Marguerite Yourcenar. La plupart du temps, je décide de faire une esquisse au crayon pour pouvoir ensuite la colorer. Si je procède ainsi c’est pour pallier à mon manque d’assurance dans l’utilisation de la couleur directement sur la feuille.

Après avoir coloré mes esquisses, elles ne me plaisent plus du tout. Je trouve ça ringard au possible. Le travail de la couleur est fastidieux et le résultat plus que décevant. La spontanéité, la fraicheur de l’esquisse n’y est plus et le support papier ou toile fait vieillot. C’est en lisant une présentation de la jeune artiste zurichoise Louisa Gagliardi dans le magazine Beaux-Arts, que j’ai compris pourquoi.

… la peinture, toute peinture, une fois le jour levé, une fois l’écran (du smartphone, de l’ordinateur, de la télé) allumé, prend un coup de vieux. »  Beaux-Arts Magazine No 396. Juin 2017

Même si cette artiste fait une première esquisse au crayon, elle la travaille ensuite avec le logiciel Photoshop. Puis elle l’imprime et la recouvre de vernis qui ne proviennent pas du tout du  domaine de la peinture, comme le vinyle par exemple.

Hugo de Matran a senti et pris ce tournant de l’histoire de l’art il y a déjà quelques années et l’a montré avec son exposition « Danse funèbre » (tableaux conçus sur son ordinateur). Si son exposition n’a suscité que trop peu d’échos c’est probablement que c’était trop tôt, il était trop en avance.  Et il ne provenait pas, comme Louisa Gagliardi, du monde du graphisme, milieu naturel des utilisateurs du numérique. Le thème et ses figures m’ont beaucoup touchée alors mais la technique m’avait paru extrêmement complexe. Ce n’est qu’au moment où j’ai expérimenté le dessin directement sur mon smartphone ou ma tablette que j’y ai découvert de l’intérêt, une possibilité de création intéressante et très spontanée.
Spontanée pour ce qui concerne l’esquisse, mais tout aussi difficile et lente à apprivoiser que n’importe quelle technique manuelle (aquarelle, huile, tempéra, etc.) pour l’utilisation des « pinceaux » et de la couleur.

Pour en revenir à la question « A quoi ça sert de mettre de la couleur ? », je regarde autour de moi, m’imaginant le tout en noir et blanc dans un camaïeu de gris, d’ombres et de lumières plus ou moins intenses. Oubliés le vert de vessie du mimosa, les branches ocre-rouge du pin, le bleu de l’étendage à linge, la gorge rouge-orangé du rouge-gorge, le bec jaune du merle, le « mille fleurs » du bord des chemins de juin, l’indigo du ciel d’orage et mon sac rouge d’Argentine… Et je revois la beauté des femmes indiennes et africaines croisées dans mes voyages. Cette envie suscitée par l’éclat, la flamboyance des tissus qu’elles portent au quotidien. Tout était si vivant, bouillonnant par rapport à mon environnement habituel en Europe.
A quoi ça sert de mettre de la couleur ? A mettre de la vie, tout simplement, la vie avec ses beautés et ses drames, ses tâtonnements, ses réussites et ses échecs.


Un univers sans couleur a la richesse de tous les possibles, mais c’est un monde condamné à rester dans les limbes. Une esquisse ça a la beauté et la puissance du désir, du désir qui n’a pas encore pris le risque de l’accomplissement, le risque de la vie.

Aucun commentaire: