mardi 1 août 2017

Un instant à soi.

Acteur de théâtre Nô (rapidographe))


C’est les vacances et nous lisons: un roman policier captivant jusqu’au cœur de la nuit (Harlan Coben, Tu me manques,, Editions Pocket), un roman dense et bouleversant jusqu’à nous tirer des larmes (Pierre Lemaître, Au revoir là-haut, Albin Michel), une chronique, un récit de vie nous arrachant des admirations à partager (René Prêtre, Et au centre bat le cœur, Editions Arthaud). Mais qui lit de la poésie ?

Non, ça ne demande pas d’effort. Non, ça n’est pas trop difficile à comprendre. Non, il n’y a rien d’intellectuel là-dedans. Ça ne demande qu’un début d’ouverture, quelques secondes de disponibilité. Dans son dernier livre consacré au théâtre Nô, Armen Godel écrit ceci :

« Maître Kizuki m’a dit un jour : « Le Nô est antérieur à tout art. » Parce que le Nô est immanent, il n’a donc jamais commencé et n’aura donc jamais de fin. De même, la poésie est antérieure à toutes formes, à  tous phénomènes. Epousant l’harmonie universelle, elle a éclos en même temps que le monde formel. Elle est présente, elle est immuable dans la nature. Ses manifestations sont en deçà des mots. Elle a été créée au moment où le Ciel et la Terre se sont séparés, en un temps où les dieux qui peuplaient l’univers ne se reproduisaient pas  encore par accouplement. Avant l’amour et la copulation, il y aurait eu donc la poésie ! Langage des dieux entre eux à l’origine, elle s’est imposée pour eux comme un moyen de communiquer avec les humains et, pour les humains, de communiquer avec les dieux. La poésie est chant, profération, invocation, louange. La voix humaine la porte. Pour livrer ce qui n‘a pas de nom, la langue emprunte à la nature ses propres expressions : ka chô fû getsu, fleur, oiseau, vent, lune (…) La nature donne accès à la composition, à l’écriture, elle lui prête sa forme et, dans sa forme, la beauté (…) La poésie est danse sans gestuelle, la danse poésie sans parole. » Armen Godel, Le Nô infini, MétisPresses, Genève, Mai 2017  (p.105)

Il y a quelques années, à l’occasion de la représentation au Théâtre Saint-Gervais à Genève, de trois pièces de Nô, l’auteur m’avait écrit à peu près ceci : si vous venez les voir, ne cherchez pas à comprendre, accueillez-les comme une danse, comme un tableau dans toute la force de son étrangeté, dans la beauté des costumes et des masques…

Je crois qu’il en va de même pour la poésie. Il n’y a rien à comprendre juste à accueillir les mots, les images qu’elle suscite. Plus universelle que la prière, elle s’imposait à moi à chaque fois qu’un patient, peu à peu, quittait notre monde. Aucune autre forme, aucune autre manifestation ne m’apparaissait à hauteur du mystère de la vie et de la mort d’un homme. J’aurais aimé pouvoir dire ceci par exemple:
« Quand vient le vent d’est
épanchez votre parfum
ô fleurs du prunier
même le maître parti
n’oubliez pas le printemps » Le Nô infini (p. 139)

J’aime la poésie contenue dans les pièces de théâtre Nô car elle est brève. Sa simplicité est d’une richesse infinie. Mais attention, son parfum subtile et enivrant pourrait vous conduire plus loin que vous ne le pensiez dans la lecture de ces deux autres ouvrages du même auteur : La Lande des mortifications et Visages cachés, sentiments mêlés, d’Ono no Komachi et autres.

Pas besoin de lire de la première à la dernière ligne sans en manquer une ! Comme dans la prairie de juin, cueillez les fleurs qui vous plaisent juste pour leur beauté, sans vous souciez de la nature de leur terreau, des herbes qui les enserrent, des insectes qui les butinent ni de leur possible langage.


Si je vous parle de cette poésie très spécifique c’est parce que je l’ai là sous la main et que je l’apprécie au plus haut point. Mais il y a tant d’autres poèmes, tant d’autres auteurs. Partons à la découverte !

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