Acteur de théâtre Nô (rapidographe)) |
C’est les vacances et nous lisons: un roman policier captivant jusqu’au cœur de la nuit (Harlan Coben, Tu me
manques,, Editions Pocket), un roman dense et bouleversant jusqu’à nous
tirer des larmes (Pierre Lemaître, Au revoir là-haut, Albin Michel), une
chronique, un récit de vie nous arrachant des admirations à partager (René
Prêtre, Et au centre bat le cœur, Editions Arthaud). Mais qui lit de la
poésie ?
Non, ça ne demande pas d’effort.
Non, ça n’est pas trop difficile à comprendre. Non, il n’y a rien
d’intellectuel là-dedans. Ça ne demande qu’un début d’ouverture, quelques
secondes de disponibilité. Dans son dernier livre consacré au théâtre Nô, Armen
Godel écrit ceci :
« Maître Kizuki m’a dit un jour : « Le Nô est antérieur
à tout art. » Parce que le Nô est immanent, il n’a donc jamais commencé et
n’aura donc jamais de fin. De même, la poésie est antérieure à toutes formes,
à tous phénomènes. Epousant
l’harmonie universelle, elle a éclos en même temps que le monde formel. Elle
est présente, elle est immuable dans la nature. Ses manifestations sont en deçà
des mots. Elle a été créée au moment où le Ciel et la Terre se sont séparés, en
un temps où les dieux qui peuplaient l’univers ne se reproduisaient pas encore par accouplement. Avant l’amour
et la copulation, il y aurait eu donc la poésie ! Langage des dieux entre
eux à l’origine, elle s’est imposée pour eux comme un moyen de communiquer avec
les humains et, pour les humains, de communiquer avec les dieux. La poésie est
chant, profération, invocation, louange. La voix humaine la porte. Pour livrer
ce qui n‘a pas de nom, la langue emprunte à la nature ses propres expressions :
ka chô fû getsu, fleur, oiseau, vent, lune (…) La nature donne accès à la
composition, à l’écriture, elle lui prête sa forme et, dans sa forme, la beauté
(…) La poésie est danse sans gestuelle, la danse poésie sans parole. » Armen
Godel, Le Nô infini, MétisPresses, Genève, Mai 2017 (p.105)
Il y a quelques années, à
l’occasion de la représentation au Théâtre Saint-Gervais à Genève, de trois
pièces de Nô, l’auteur m’avait écrit à peu près ceci : si vous venez les
voir, ne cherchez pas à comprendre, accueillez-les comme une danse, comme un
tableau dans toute la force de son étrangeté, dans la beauté des costumes et
des masques…
Je crois qu’il en va de même pour
la poésie. Il n’y a rien à comprendre juste à accueillir les mots, les images
qu’elle suscite. Plus universelle que la prière, elle s’imposait à moi à chaque
fois qu’un patient, peu à peu, quittait notre monde. Aucune autre forme, aucune
autre manifestation ne m’apparaissait à hauteur du mystère de la vie et de la
mort d’un homme. J’aurais aimé pouvoir dire ceci par exemple:
« Quand vient le vent d’est
épanchez votre parfum
ô fleurs du prunier
même le maître parti
n’oubliez pas le printemps » Le Nô infini (p. 139)
J’aime la poésie contenue dans
les pièces de théâtre Nô car elle est brève. Sa simplicité est d’une richesse
infinie. Mais attention, son parfum
subtile et enivrant pourrait vous conduire plus loin que vous ne le pensiez
dans la lecture de ces deux autres ouvrages du même auteur : La Lande
des mortifications et Visages cachés, sentiments mêlés, d’Ono no Komachi
et autres.
Pas besoin de lire de la première
à la dernière ligne sans en manquer une ! Comme dans la prairie de juin,
cueillez les fleurs qui vous plaisent juste pour leur beauté, sans vous souciez
de la nature de leur terreau, des herbes qui les enserrent, des insectes qui
les butinent ni de leur possible langage.
Si je vous parle de cette poésie
très spécifique c’est parce que je l’ai là sous la main et que je l’apprécie au
plus haut point. Mais il y a tant d’autres poèmes, tant d’autres auteurs.
Partons à la découverte !
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