Despacito ou Carmen de Porto Rico (aquarelle) |
Nous avions dix ans et peut-être un peu plus quand, en « faisant la
vaisselle », ma sœur et moi chantions à tue-tête quelques airs de
Carmen gravés sur un petit « 45 tours de plastique » qui ondulait sur
un tourne-disque ramené du « grâble » (décharge à l’air libre à
quelques centaines de mètres de la maison, dans la pente vers le Ruz d’Orgoille).
Dans le petit échantillon de disques envoyés par ces éditions qui venaient nous
harponner par la main du facteur, il y avait deux autres disques dont je ne
garde aucun souvenir. Premiers frémissements de nos cœurs pré-adolescents, la
force de la passion contenue dans ces paroles, dans ces rythmes nous faisait-elle
déjà vibrer ? Cette Carmen de Bizet que j’ai vue au cinéma, que j’ai entendue
souvent par la suite, hantée par ces premiers airs de mon enfance, hier, cette brève nouvelle sur le site de la
RTS m'y a fait penser:
« Le
5 août 2017 à 10:53, le clip de la
chanson "Despacito" est devenu vendredi la vidéo la plus visionnée de
l'histoire de la plateforme YouTube, signe de la popularité planétaire de ce
tube venu de Porto Rico. Avec plus de 3 milliards de vues,
"Despacito" a dépassé le titre "See You Again" du rappeur
Wiz Khalifa (…). Mi-juillet, "Despacito", interprété par le chanteur
portoricain Luis Fonsi, était déjà devenu la chanson la plus jouée en streaming
de tous les temps. »
Curieuse, je l’ai visionné moi aussi et, il
m’a beaucoup plu. Et pas seulement à cause de sa chorégraphie… torride !
Ou racoleuse diront certains.
- Au-delà de la vidéo en elle-même, il y a la
simplicité des quelques accords de guitare du début de la mélodie puis le
développement du thème avec les autres instruments qui vont donner ce rythme
« latino » irrésistiblement entrainant. Enfin la voix séduisante de Luis Fonsi proférant en espagnol, les phrases du désir
érotique dans la langue de la rue.
- Le décor : un
bord de mer, pas franchement idyllique, sous le soleil des tropiques, des bâtiments
déliquescents, des graffitis, des maisons claires et colorées dans des ruelles
pauvres et du linge suspendu dehors: le décor de la vraie vie dans les
bourgades de l’île, probablement. Et un bar bondé sous les lueurs des petites ampoules
suspendues le long des murs.
- Les gens : un
peu tout le monde, des jeunes aux tenues et à la gestuelle suggestives, aux
bijoux kitchs ; des enfants, des petits garçons surtout ; des vieux
mais pas de vieilles (tant il est vrai que partout, plus ou moins tôt… ou tard,
on atteint toutes le stade de la transparence… ou de la cuisine et de la
lessive !) Un souffle chaleureux, des regards ouverts, accueillants, comme
une paix chaude et tendre dans la pluie solaire d’un éternel été.
- La Femme,
apparition de l’idéal et du rêve. Flamme ondulante allumant, d’un baiser sur le
front, petits garçons timides et vieux hommes joueurs. Comme sortie d’un
magazine de mode : plastique irréprochable avec des formes là où elles
doivent être, chevelure abondante ondulée et brillante, maquillage parfait,
vêtue juste ce qu’il faut au dehors dans la journée et un rien de robe dorée pour
danser dans la moiteur du bar le soir.
Le scénario du
clip est placé sous le signe de l’oxymore. Son titre tout d'abord, Despacito dont la traduction française est
« lentement ». Or tout est rapide : le rythme de la musique, la
danse, la succession des séquences filmées. Les contrastes visuels s’imposent
immédiatement : la pâle statue de la Vierge dans sa boîte de bois blanc et
la Femme sensuelle émergeant de l’ombre d’une ruelle ; la richesse colorée
du dénuement de ce bourg ; le rythme de la musique et de la danse dans
l’Histoire arrêtée de cette communauté. L’éclat de l'impudeur de la danse, du risque des
corps sous le voile diaphane des sentiments : amour, amitié, fraternité,
respect.
Ce clip très
étudié dans le but de plaire au plus grand nombre, ne survivra pas aussi
longtemps que l’opéra de Bizet. Mais il nous touche. Faire
vibrer nos cœurs par la musique, par la voix et par l’image, il y réussi.
Alors, trêve de snobisme, on met le volume à fond et on esquisse quelques pas
de danse… despacito.
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