dimanche 17 juin 2018

Une aventure indienne 4


Plage de Calicut
 C’est dimanche après-midi : départ pour une promenade sur la plage de Calicut  (Kozikhode en langue malayalam) à 40 minutes à pied d’ici. Il fait gris et les nuages n’arrivent pas à se décider. La ville s’étend jusqu'à la plage. Pour nous en approcher, nous évitons le pont, emprunté surtout par les véhicules pour passer au-dessus de  la voie ferrée. Nous choisissons de  traverser les rails, comme le font la plupart des piétons ici. Entre la plage et la route, un long parc ombragé avec des places de jeux pour les enfants, mais très endommagées par l’humidité ambiante. 

Avec toute cette eau qui infiltre les matériaux, les vieillit prématurément, toutes les installations et tous les bâtiments paraissent en mauvais état, comme délabrés. J’ai l’impression que les matériaux à même de résister aux conditions climatiques d’ici n’ont pas encore été inventés. N’ont-ils pas les moyens de s’en procurer ? Ou peut-être, tout simplement, est-ce que cette réalité tangible, "les choses", n’ont pas la même importance ici que chez nous et de ce fait ne mérite pas tout le soin, le respect (je dirais presque « extrême ») que nous y accordons nous, européens. 
 
Vente de bétel (en arrière-plan)
Sur la plage, quelques kiosques qui vendent des petits trucs à manger comme chez nous. Il y a du monde (que des jeunes et des enfants) partout. Une étendue de sable à perte de vue et des rouleaux impressionnants. Ça pourrait être un « spot » de surf. Mais personne ne se baigne car c’est dangereux pendant la mousson. Et c’est sale ! C’est sale et ça pue, je ne vous dis pas comment! On se bouche le nez – littéralement – par endroits. C’est insoutenables. Des détritus de toutes sortes mélangés au sable strié de pétrole (?) C’est affligeant. On est loin des plages oléronaises où les promeneurs se munissent de sacs poubelles pour ramasser les quelques débris déposés par la marée atlantique.

Bateaux de pêche dans la baie de Calicut
De l’autre côté d’une jetée de gros rochers, sur fond de mer beige à dentelles de mousse douteuse, des bateaux de pêcheurs musulmans dandinent fièrement leur haute proue colorée. Des « enfants des rues » ( garçons effrontés d’à peine 8-10 ans), nous poursuivent un moment en nous demandant de l’argent.  Ma compagne paient deux fois le prix (ma présence « a son prix ») pour des noix qu’elle achète à un vieux marchand. Vais-je me résoudre à porter un châle sur la tête à chacune de mes sorties en ville ?

Ce pourrait être une si belle plage. Est-ce le ciel trop gris qui a coloré si méchamment cette promenade au bord de la mer ? 
J’ai vu la plage de Calicut et je n’y retournerai plus. 
Les vagues à Calicut

mercredi 13 juin 2018

Une aventure indienne 3

Port de Kochi, Kerala
Samedi dernier, quatre heures du matin, départ pour Kochi à 180 km  de Calicut (sur Google il est prévu 5 h.30 de route) où deux religieuses sont attendues pour une journée de travail « intersites » de leur communauté. Le chauffeur et moi attachons nos ceintures (ce qui n’est pas du tout dans les habitudes d’ici) alors  que, sur le siège arrière, les deux Sr récitent une prière. 
Par endroit, la route est à moitié recouverte d’eau, ceci rétrécissant considérablement l’espace de croisement ! Alors on y va à coups de klaxons!
Il y plus de camions que de voitures qui circulent ici, c’est un peu comme si on se déplaçait sur une route nationale française. Heureusement, dans la nuit, peu de piétons. Et ils sont visibles car ils sont tout de blanc vêtus. Que des hommes. On me dit que ce sont des musulmans. Il est vrai que tout au long du chemin nous allons passer devant de nobreuses mosquées, davantage de mosquées que de temples hindous ou d’églises chrétiennes. Sont-elles plus proches de la route que les autres, plus visibles du fait de leur grandeur et de leurs façades très claires ? Dans tout le Kerala, comme en Suisse, pas de grands espaces sans habitations. L’humain occupe le territoire.
 Pour cause de « pause chauffeur », nous nous arrêtons à mi-chemin pour déjeuner. Le restaurant est plein. Et c’est comme si nous pénétrions dans un tableau d’Auguste Macke - Couple à la table du jardin – par exemple.Tous ces saris, ce sont les couleurs du fauvisme ! Et là, ce qui m’est servi sur mon plateau de déjeuner, ç’est une coiffe bigoudène couchée sur le côté.
Roast dosa
Peu après cet arrêt, nous dépassons plusieurs petites motos transportant des caisses en plastique sur le siège arrière. Ce sont des pêcheurs sur la route du marché. Nous arrivons au bord de la mer. Sous un ciel de plomb, le vent ébouriffe les palmiers, et sur la plage s’écrasent de grands rouleaux beige sombre coiffés d’écume.  Sur un mur, un homme seul, chemise et dothi (grande pièce de coton noué autour de la taille) battant des ailes, face aux éléments déchainés. Et pas le temps de s’arrêter pour faire une photo !

A 9 h. précises, la voiture entre dans l’enceinte du couvent. Pour les Sr c’est le travail. Deux des trois chauffeurs ayant amené les religieuses des différents couvents ne connaissent pas la ville. Alors, à la demande de la Supérieure, le troisième va nous conduire dans différents endroits de la ville. 
 
Temple hindou, Kochi
Premier arrêt, un temple hindou. Sur une vaste parcelle, au cœur de la ville, plusieurs bâtiments habritant des statues de « je ne saurais malheureusement pas vous dire » quels personnages sacrés devant lesquels se consument des bougies et des bâtons d’encens. Sur toute la surface des quatre côtés du bâtiment principal, le grillage d’un millier de bougeoirs destiné à se transformer en chandelier géant le jour de la Fête des Lumières. Une ambiance de piété, de recueillement. De nombreux pratiquants sont présents. Toute une famille arrive, en habits de fête. Le chauffeur m’accompagne pour la visite. Il enlève sa chemise pour entrer dans les temples. Moi je n’entre pas, par respect pour ceux qui y prient Au fond du jardin, au pied d’un petit autel, une femme, assise au sol, chante des incantations en s’accompagnant d’un instrument rudimentaire, une sorte de tampoura où ne subsisterait plus qu’une seule corde. 


Eglise St-Georges, Kochi
Deuxième arrêt, au cœur de la ville également, la plus grande église catholique du Kérala, l’église St Georges. Façade blanche, grand escatier de part et d’autre d’une esplanade de pierres tombales allongées au sol. A l’intérieur, quatre énormes piliers recouverts d’or, le chœur entièrement recouvert d’or. (« Quelle vanité ! » me dira une Sr un peu plus tard). Sertis dans tout cet or, de part et d’autre de l’autel, deux très beaux petits vitraux, d’une extrème simplicité, dans des tons pastels. Et c’est immense ! Et c’est vide… à part une jeune femme, pour me dire qu’il est interdit de photographier ! 

Troisième halte, au bord d’une rivière, une église plus simple, comme on en voit dans nos contrées catholiques (à part la façade blanche qui se voit de très loin). L’endroit est magnifique. 
A quelques pas de là, un bac s’éloigne silencieusement d’un petit débarcadère pour rejoindre l’île du milieu de la rivière. Pendant que je visite l’église, les chauffeurs m’attendent, assis sur les escaliers qui descendent dans la rivière. C’est désert. C’est tranquille.
 
Avant
Après
Au confessional: je vous laisse imaginer une histoire pour illustrer les 2 photos!!

Dernière escale, le port de Kochi avec des bateaux qui proposent un circuit pour visiter le port et ses environs. Très peu de touristes durant la mousson, que des Indiens. Nous prenons un café pas vraiment ensemble (ça fait bizarre ces trois hommes avec cette vieille Occidentale) Ils gardent une certaine distance. Ils parlent chacun leur langue (le kannata, l’hindi et le malayalam), se comprennent entre eux et comprennent peut-être l’anglais, mais un seul le parle. Ils me posent deux questions : « Est-ce que vous conduisez la voiture ? » et « Pourquoi ne mettez-vous pas de sucre dans votre thé ? »
 
Petit café dans le port de  Kochi
De retour au couvent, aussitôt le meeting de la communauté terminé, nous prenons la route du retour. Il pleut abondamment pendant presque tout le trajet. Ce qui ralentit forcément l’allure sur ces routes bondées de trains routiers, de motos suicidaires, de vélos sans phare et de rares fantomes de piétons. Dix heures trente de route pour six heures de meeting.
Scène de rue - Transport familial

dimanche 10 juin 2018

Une aventure indienne 2

Wagon-lit au Kerala
Le jour de mon atterrissage à Bengalore, à la tombée de la nuit, la voiture s’insère dans le flux continu mais parfaitement maîtrisé de la circulation sortant de la ville. Il doit bien exister quelque part un guide pratique du klaxon, une sorte de langage, adaptable selon les cultures (en Suisse on est muet !). Le klaxon comme une manifestation de la hiérarchie routière peut-être ? Pas de vélos ici, c’est tout simplement pas possible. Des scooters et des motos surtout, en compétition avec les voitures, les bus et les camions. Nous traversons des marchés avec, par exemple un secteur de vendeurs de mangues de différentes grandeurs et variétés sur plus d’un kilomètre sans presque aucun acheteur ! Nous ignorons au passage des temples hindous aux couleurs pastels et scupltures jouant leur légendre sur les pentes de leur toit ; des échoppes scintillantes ; des chariots fumant leurs grillades ; d’étroites ruelles où la chaussée en déliquescence affleure les flaques brunes. Et nous voilà à la gare principale de Bengalore. 

Ah, ces diables de représentations ! Je m’imaginais, traversant la foule d’un hall immense aux allures de Pékin et je me retrouve traversant les voies, à la façon de la banlieue de Moscou, tirant ma valise en sachant bien « qu’un train peut en cacher un autre ». En  fait, on a choisi un parking précédant l’entrée principale de la gare pour pouvoir y laisser la voiture quelques minutes. Arrivés sur le quai voulu, nous cherchons notre wagon sous le regard curieux de ceux qui mangent, ou somnolent, ou jouent ou attendent sur les bancs de pierre. Nous avançons en évitant les chargements téméraires des chariots de colis divers et les éclaboussures de ceux qui se lavent aux nombreux bassins de pierre à disposition de tous ici.


A l’intérieur du wagon, la climatisation est « à coins », il ne doit pas faire plus de 16°. Tous les rideaux sont fermés. On les écarte pour trouver notre couchette. Sous le siège, juste la place pour trois grosses valises et un grand sac rempli de mangues (cadeau des Sr de Bengalore à celles de Calicut) . Je prends celle du haut, en face d’un Indien, la 40aine, qui lit un livre de prières en anglais. En bas, Sr Merrina et une Indienne de mon âge. A disposition de chaque passager, posé sur une lourde couverture brune, un sac de papier contenant 2 draps blancs et une serviette éponge. A chaque extrémité du wagon : des toilettes : à gauche,  «2 Indian style » (celles où l’on s’accroupit) et à droite, 1 « Indian style » et 1 « Européen style ». Tout est en fer et dans chacune une douchette pour la « petite toilette »  et un lavabo. C’est vieux et spartiate mais tout est propre et tout fonctionne. En face d'un évier juste à l'entrée du wagon, la couchette rabattue du surveillant. Avant le départ du train, on est interpellé par les offres du va et vient incessant des vendeurs de thé, café, et différents mets. 

Le contrôleur ne demande pas notre billet, il ne veut voir que la carte de crédit avec laquelle la place a été réservée. Le wagon est silencieux. Il y a des bébés et de très jeunes enfants. Tout le monde dort. Au réveil, les palmiers scintillent sous leur glacis brillant d’eau, les rizières sont partiellement inondées et sur les sentiers qui pénètrent la forêt (« ça, ça n’est pas la « forêt » ! me dit Sr Merrina) des saris aux couleurs éclatantes trébuchent dans la boue.

Parti à 20 h. sous un ciel clair et à l’heure, le train arrive à Calicut à 9 h.30 dans la moiteur d’après l’averse et avec une heure de retard. C’est la Sr directrice de l’école qui vient nous chercher avec leur chauffeur. De grands linges éponges recouvrent les sièges des voitures : ici on transpire, sans odeur, et on sait maintenir un certain confort !
Vue de la gare de Calicut (Kozhikode) Kerala

jeudi 7 juin 2018

Une aventure indienne 1

 
La maison provinciale à Bengalore
Une aventure indienne  1
C’était en janvier dernier. Elles cherchaient une volontaire pour donner un cours de French Through English dans leur Institut of Management and Fashion Design à Calicut( Kozhikode) au Kerala. 

Après trois mois d’intense préparation et plus de deux cents slides (diapositives) Keynote (PowerPoint) enregistrées dans un nouveau dossier (Inde) ; un dictionnaire et des livres d’exercices, dans le sac à dos, je fais face au fonctionnaire de la douane de l’aéroport de Bengalore. En lisant l’adresse de mon futur lieu de séjour, son scepticisme est évident quant au choix de mon  visa (touriste individuel) : un institut de formation et, en plus, appartenant à une congrégation religieuse catholique. Après l’intervention (divine ?) d’un deuxième fonctionnaire, plus conciliant, je suis admise sur le territoire indien.

Pour moi, un endroit, où qu’il se trouve dans le monde, s’identifie tout d’abord à son odeur. Par exemple, quand on quitte Châtel-St-Denis en direction de Bulle, de Fribourg, ça sent les vaches et parfois, les foins. Ici, à Bengalore, c’est tout d’abord l’air pollué par la motorisation et une odeur d’égoût, de toilettes à « ciel ouvert » alors que les bouchons entravent notre progression au cœur de la mégalopole. 
Dès qu’on pénètre dans l’enceinte du couvent, c’est le parfum des fleurs émanant des centaines de pots qu’elles ont disposés tout autour des murs.
Puis dans la chambre, des senteurs d’épices comme nulle part ailleurs, alors qu’elles préparent le repas dans la cuisine de l’autre côté de la cour intérieure.
Ensuite, cet ailleurs se définit aussi par des sonorités différentes. Dominant le vacarme des enfants dans la cour de l’école primaire voisine, le grondement continu de la circulation routière et l’appel ponctuel à la prière du minaret voisin, des chants d’oiseaux inconnus, chants qui ressemblent parfois au cri de certains singes.
Enfin, l’endroit se colore : des ponts soutenus par des piliers peints en bleu, le jaune et vert des motos-taxis, les saris somptueux des passagères de motos, le vert luxuriant des arbres repoussant le gris-beige envahissant des immeubles.
Downtown Kochi

Quelles soient africaines ou indiennes, les chambres des hôtes de la communauté sont toutes pareilles : une entrée avec fauteuils et table basse, une chambre avec un lit, une armoire et une table en bois massif ; des barreaux aux fenêtres  (en verre dépoli à Calicut), le sol en granit lisse (de la moquette ici) ; une salle de bain avec grille d’évacuation au sol, un lavabo et un miroir, un robinet en plus contre le mur et un grand seau auquel est suspendu un petit pot pour se doucher. Autre singularité d’ici : pas de moustiquaires aux fenêtres ni sur le lit. Il faudra s’y faire !!! 
Partout une atmosphère de semi-obscurité (rassurante car on ne voit pas les insectes éventuels !), mais atmosphère de confinement aussi : l’extérieur  se manifestant uniquement à l’ouverture de la porte principale.
Quant à l’accueil : partout elles sont « aux petits soins »,  se « mettent en quatre » pour nous. Ici, à Calicut, la chambre est immense avec un grand frigo et même une machine à laver à la salle de bain. Il faut dire que cette chambre-ci était destinée à d’autres personnes en lien avec le collège. Ce matin, une des religieuse est même allée acheter une bouilloire pour que je puisse faire mon Nescafé de l’après-midi dans la chambre !

Avec le fracas de la mousson… j’hésite entre la soufflerie du climatiseur ou le chuintement rapide des grandes ailes rafraichissantes au plafond. Malgré la chaleur insistante, c’est décidé : jusqu’au soir, je donne la parole à la pluie. 

Le portier à Bengalore