mercredi 26 avril 2017

Education des enfants et tournage en poterie : similitude des arts. (2)

Eclat de pyrite dans un bol tourné
Il faut apprendre à glisser et à lâcher plus qu'à faire œuvre de force.
On soulève l'argile plus qu'on ne la resserre.

Il faut apprendre à glisser et à lâcher plus qu'à faire œuvre de force.
L’analogie entre l’argile et l’homme provient peut-être de ce que les mythologies des peuples, puis les religions ont placé l’argile au fondement de la vie.
Par ailleurs, à l’origine, l’homme comme l’argile est le résultat de transformations
L’argile, la terre que je tourne, provient, du fond des âges, de l’altération de silicates.
Du côté de l’homme, depuis l’aube des temps, toutes les expériences humaines participent à l’élaboration de ce que C.G. Jung appelle « l’inconscient collectif ». De même, depuis toujours, les variations du matériel génétique participent à la création d’un individu que je nommerais « l’individu collectif ».
Chaque enfant naît avec ce patrimoine collectif hérité des milliers de générations précédentes. C’est pourquoi il est lui, et pas seulement une combinaison de son père et de sa mère. Il a en lui des forces et des faiblesses qui lui appartiennent en propre et sur lesquelles je n’aurai jamais aucune prise. C’est pourquoi il faut apprendre à « glisser » et à « lâcher » plus qu'à faire œuvre de force.

Sur le tour, c’est l’eau qui facilite le glissement de l’argile entre les mains. Si on ne mouille pas assez, les mains frottent la terre et on risque inévitablement de la décentrer. Mais si, au contraire, on met trop d’eau, la motte de terre se ramollit et il sera très difficile de lui donner forme.

En famille, ce sont la douceur et la prévenance qui facilite le développement de l’enfant. Si je n’en mets pas suffisamment, des frictions apparaissent dans mes rapports avec lui. Par exemple, lorsque je suis trop occupée pour lui accorder suffisamment de temps. Ou alors lorsque je pense qu’il doit s’aguerrir pour affronter la dure réalité de la vie. Ou quand je pense à tort – peu importe l’âge qu’il a - qu’il est assez grand, assez fort pour faire face à ce qui lui arrive ; et que s’il n’y arrive pas, il apprendra de ses échecs. Ce manque de douceur et de prévenance entrave sa progression, le décentre en quelque sorte.
Mais si, au contraire, je lui accorde douceur et prévenance en excès, il aura beaucoup de difficultés à exercer et développer sa propre force et sa confiance en lui. Par exemple, lorsqu’à la moindre frustration – peu importe son âge -, je réponds sans attendre par des gestes tendres et la satisfaction de ses désirs.  Mais aussi, lorsque je vais au devant de ses désirs matériels : nourriture, jouets, activités diverses. Et de même si je m’efforce de prévenir tout danger avant l’apparition même d’un risque. Cet excès de douceur et de prévenance entrave la structuration de sa personnalité et sa confiance en lui.

Quant à faire œuvre de force, sur le tour du potier,  la terre y répond par le décentrage ou la malformation. Pour l’enfant, les dégâts, bien que très souvent peu visibles, n’en sont pas moins présents.

On soulève l'argile plus qu'on ne la resserre.
Pour centrer la motte de terre sur le tour, on n’y parvient pas en la serrant entre nos mains de toutes nos forces. Au contraire, c’est en soulevant l’argile de part et d’autre alors qu’elle tourne sur la girelle que l’on y arrive. Les deux mains soulèvent la terre et la font redescendre à de nombreuses reprises jusqu’à ce qu’elle soit centrée.
Pour élever mon enfant,  je n’utilise pas la contrainte physique et mentale. C’est avec respect et tendresse que je l’accompagne dans sa marche et ses chutes, dans ses joies et ses chagrins, jusqu’à ce qu’il soit autonome.

Et toujours ce doute: suis-je une mère SUFFISAMMENT BONNE.

A l’instar de toute activité artistique, l’éducation des enfants s’avère,  malgré toutes nos aptitudes et tous nos désirs, souvent imprévisible. A la sortie du four, le bol apparaît tel que la magie du feu l’a révélé : unicité, intégrité, beauté mais aussi parfois, venant des profondeurs de la terre, paré de curiosités inattendues (grain de pyrite contenu dans l’argile). De même à l’âge adulte, une personne apparaît telle que le feu de la vie la révèle : unicité, intégrité, beauté mais aussi parfois, venant du fonds des âges, parée de curiosités inattendues. Unicité, intégrité, beauté et inattendu : composants essentiels de l’œuvre d’art.


(à suivre)

mercredi 19 avril 2017

Education des enfants et tournage en poterie : similitude des arts. (1)


« Les échecs en tournage comme ailleurs viennent souvent de ce qu'on s'accroche trop à la terre ou qu'on la lâche trop brutalement sans avoir desserré l'étreinte.
Il faut apprendre à glisser et à lâcher plus qu'à faire œuvre de force.
On soulève l'argile plus qu'on ne la resserre.
L'objet de la poterie est un volume creux, créé de l'intérieur.
Un pot entoure un vide et c'est ce vide qui lui donne forme et vie. »
Annie Fourmanoir-Gorius, Comme l’argile…

C’est la comparaison « comme ailleurs » qui m’invite à faire le parallèle avec l’éducation des enfants. Ces quelques phrases exposent les grands principes de cet art, au combien subtil, pratiqué par tous les parents. Ici je parle de la mère, mais il est entendu que le propos concerne aussi le père.

S’accrocher trop à la terre
Je tends à éviter tout inconfort, toute frustration à mon enfant. Je réponds à ses besoins dès qu’il en manifeste. Pour ce faire, je le garde auprès de moi jour et nuit. Quand je le confie à quelqu’un, c’est avec des recommandations  tellement détaillées que ça décourage les plus patients et les meilleurs éducateurs. Car je suis la seule à connaître ses besoins. Et même si les circonstances m’y obligent, je ne leur fais pas confiance.  Tout mon environnement est tributaire des demandes de ce petit être-là. Tout ce que je fais pour lui et avec lui  n’a que deux objectifs souvent inconscients: qu’il réponde à l’image que je me suis faite de « l’enfant idéal » et qu’il me rassure sur le fait que je suis une bonne mère.

Lâcher brutalement la terre sans avoir desserré l’étreinte
A mon enfant, j’ai donné tout ce dont il avait besoin pendant la grossesse, maintenant qu’il est né, ma vie peut reprendre comme avant. Les personnes à qui je le confie ont toutes les compétences nécessaires pour s’en occuper. Lui, il s’adapte. Ou bien, pendant sa petite enfance, toute ma vie tournait autour de ce petit être, car on me l’a dit : « Tout se joue avant six ans ! » et j’y crois. J’y ai sacrifié beaucoup de temps et d’intérêts personnels que je me réjouis enfin de retrouver. Alors maintenant, mon enfant n’est plus mon premier souci. Il a en lui tout ce qu’il faut pour affronter le quotidien et le futur, avec nos exigences de parents, les incessantes et très tentantes incitations à la consommation, la violence physique, psychique et la peur, le chemin de l’école, l’école, ses exigences et l’atmosphère de compétition, les camarades.
La parentalité s’est ajoutée à ma vie mais ne l’a pas modifiée. Et comme ma vie me satisfait pleinement, que je suis bien dans ma peau, mon enfant le ressent aussi et par conséquent il ne peut qu’être bien, lui aussi.

Sur le tour du potier, quand on serre trop la terre, il est très difficile de la centrer. Ensuite, si on a réussi à la centrer, en serrant trop, on la décentre et il est impossible de faire un objet. De même, quand sur le tour, l’objet en terre s’élève et qu’on lâche brutalement la terre sans l’avoir progressivement desserrée, elle se décentre et il est impossible de lui donner la forme souhaitée.

L’enfant, si on s’en occupe excessivement , ou si on ne s’en occupe plus suffisamment ,  ne sera pas « centré » et il aura beaucoup de difficultés à devenir celui qu’il est intrinsèquement. 
Oscillant sans cesse entre ces deux pôles, dans le doute souvent, on s’efforce d’être une mère SUFFISAMMENT BONNE.

(à suivre)

jeudi 13 avril 2017

Rendez-vous du 16 au 24 mars 2018 au FIFF (3)


The Student (film de Kirill Serebrennikov)
Le quatrième film était celui du russe Kirill Serebrennikov, basé sur une pièce de théâtre écrite par l’allemand Marius von Mayenburg : The Student. J’en suis ressortie comme si j’avais passé à l’essoreuse : tiraillée et écrasée. L’histoire se passe dans un lycée de la Russie contemporaine, où un étudiant se radicalise par la lecture au premier degré de textes bibliques. Son comportement extrémiste oblige chacun, dans son entourage, à se positionner de façon tout aussi radicale. Sa mère, tout d’abord, qui tente de raisonner son fils complètement déraisonné. Sa professeure de biologie, scientifique, qui cherche à comprendre cet étudiant qui veut les persuader tous que le monde a été créé par Dieu en six jours entre autres… Sa bienveillance sera sanctionnée par ses supérieurs hiérarchiques. La directrice du lycée qui tente de garder le cap dans la tempête et s’évade par moment dans l’alcool et le rire. Le camarade handicapé que l’étudiant tente en vain de guérir par la prière et l’imposition des mains et qui aime ce passionné en perdition.
Ce film que je qualifierais d’expressionniste, tant les situations comme les personnages sont brossés à grands traits de couleurs criantes, accentués par la musique de rock métal, vaut le déplacement. Petit bémol : la fin m’est apparue un peu bâclée… Ou alors je ne l’ai pas comprise.

Kati Kati (film de Mbithi Masya)
 Chaque année au FIFF, je vais voir un film africain, car c’est le continent qui m’offre le  dépaysement le plus bouleversant. Je suis donc allée voir Kati Kati de Mbithi Masya du Kenya. Et j’irai le revoir car ses nombreuses lectures possibles sont évidentes au premier visionnement. Les personnages sont morts mais ils sont vivants encore. Ils forment une petite communauté dans un lieu à l’écart. Ils jouent, ils fêtent, ils se taquinent, ils s’interrogent l’un l’autre sur les circonstances de leur mort, tentant souvent de fuir la responsabilité qui leur incombe. Le propos est philosophique et poétique. C’est tout à la fois lourd et léger, c’est subtil et enivrant.


Merci le FIFF et à l’année prochaine.

Rendez-vous du 16 au 24 mars 2018 au FIFF (2)

January (Primero Enero)
Le deuxième film était argentin : January (Primero enero) de Dario Mascambroni. Et je me suis beaucoup ennuyée. Cette histoire d’un jeune père et son fils passant quelques jours dans la maison de campagne à laquelle ils font leurs adieux, n’a pas d’épaisseur à première vue. De beaux paysages et des dialogues naturels et touchants parfois entre l’enfant d’une dizaine d’années et son père en pleine rupture de couple, ne suffisent pas à nous captiver, c’est-à-dire à nous sortir de nous-mêmes. Ou alors, au contraire, le scénario était si subtil que je ne suis pas parvenue à y mettre tout ce que l’artiste attendait que j’y apporte en tant que spectatrice participant activement à son œuvre.

Apprentice (film de Boo Junfeng)
 Le troisième film était celui du singapourien Boo Junfeng Apprentice. Voilà un film qui m’a submergée d’émotions et d’interrogations. Aucun effort ne m’était demandé pour comprendre le film. Le scénario m’est apparu dans toute son évidence, dans toute sa gravité. Le thème majeur est la peine de mort (la pendaison dans ce film) en tant qu’activité professionnelle  du bourreau. Une tragédie familiale vient encore accentuer le propos du film. Le parti pris de filmer en gros plans les acteurs admirablement habités permet de saisir au plus près la complexité des émotions humaines. Pas de remplissage inutile : chaque plan est d’une densité hors du commun.
Comment peut-on tuer des personnes par métier quand c’est la loi qui ordonne de le faire, sans se détruire soi-même à petit feu ?
L’apprenti bourreau était soldat avant. Quelle parenté, quelle différence entre le fait de tuer lors d’une exécution ou lors d’un combat armé ?
Qui est ce fils, ce frère ou cet ami qui accepte de donner la mort régulièrement dans le cadre de son activité professionnelle ?

Apprentice a gagné le grand prix du Regard d’Or du FIFF. Courrez le voir quand il sera dans les salles !

mercredi 12 avril 2017

Rendez-vous du 16 au 24 mars 2018 (1)

FIFF 2018, du 16 au 24 mars, à noter dans vos agendas 2018, car

« Pendant la semaine du FIFF (Festival International de Films de Fribourg) c’est comme si notre belle petite ville devenait plus gentille encore. » François

Depuis plus de 30 ans maintenant, à Fribourg, le printemps arrive avec le FIFF. Des fleurs du monde entier viennent s’épanouir dans nos salles obscures. Des fleurs inconnues, à chaque fois renouvelées. . D’intenses parfums exotiques font surgir devant nos yeux d’indigènes des visions inimaginables sous nos latitudes. Et dans le même temps, elles nous dévoilent des plantes locales à la floraison inattendue. Leur grande diversité garantit un moment de bonheur pour chacun. Il y a :

-       Les grandes fleurs qui dépassent, au parfum capiteux : les films en compétition
-       Les petits carrés d’essences subtiles et puissantes à la fois : les courts métrages
-       Le parterre d’espèces de même catégorie : le cinéma de genre  (cette année, les histoires de fantômes)
-       La serre d’analyses des plantes : décryptage (cabinet de curiosités)
-       Le massif des « porte-greffes » : diaspora (2017: les choix de Myret Zaki et l’Egypte)
-       La plate-bande des « immortels » : hommage à… (2017: les choix de Freddy Buache)
-       Le carré des jeunes pousses exotiques : nouveau territoire (2017 : le Népal)

-       La pelouse de l’artiste (2017 : Douglas Kennedy)

J’ai débuté ce festival avec The Ghost and Mrs Muir, de Joseph Mankiewiecz. Un film culte que je regarde à chaque fois qu’il passe à la télévision. Pouvoir le voir sur grand écran fut le plus grand cadeau que le FIFF m’a offert cette année.
Dans ce film noir blanc de 1947, tout est beau : l’image en elle-même, les paysages, le son, les personnages, l’histoire – romantique à souhait - et sa fin. Pour vous faire envie, voici les thèmes abordés : le combat de la femme pour son indépendance ; l’influence de l’environnement sur notre vision de la vie, du monde, et sur notre imagination ; l’amour, la mer, l’écriture. A partir de cette histoire d’amour entre la locataire d’une jolie maison sur les falaises de Whitecliff et le fantôme du capitaine à qui elle appartenait, des thèmes universels sont soumis à notre propre interprétation. Et celle-ci se renouvelle avec le temps et nos expériences de vie.







mardi 4 avril 2017

Clair-obscur/mémoire-oubli

Clair-obscur- Chiaroscuro


La mémoire est duale de l'oubli: la pérennité du souvenir repose sur la perte de ce que l'on a choisi d'oublier.
Une photographie est considérée comme la mémoire d'un instant parce qu'elle est un oubli de tous les autres instants. Avant l'instant de la prise de vue, depuis la nuit du temps de sa fabrication, la surface sensible est préservée de la lumière, afin qu'elle ne se souvienne d'aucune lumière...
Philippe Matherat. "Éphémère "

L’oubli, on peut en faire l’expérience lors des rencontres familiales. Elles sont l’occasion d’évoquer un passé commun. Or, à chaque fois, je suis surprise par la multiplicité des souvenirs des uns et des autres. J’en reconnais certains, mais pas d’autres que j’avais certainement choisies, consciemment ou inconsciemment, d’oublier.
Il en va de même de mes intérêts, de mes passions du moment. Si je me concentre  aujourd’hui sur ceci plutôt que sur cela, c’est que j’ai choisi d’oublier cela.
.
Mais s’agit-il vraiment de perte, s’agit-il vraiment d’oubli. Et si l’on parlait plutôt des multiples facettes de nos vies, de nos personnalités, et de leur mise en lumière. Et si l’on considérait qu’elles avaient toutes, bien que très différentes l’une de l’autre, la même importance, ce que Montherlant nomme « l’équivalence » ? Et leur mise en lumière à tour de rôle, c’est ce que ce même écrivain nomme « l’alternance ».

Quant au « choix », c’est une notion qui me paraît illusoire. Si l’on considère que la vie est une sphère aux nombreuses facettes, peut-on arrêter son mouvement ? Nous tombons tous, plus ou moins souvent dans le piège de vouloir l’immobiliser pour mettre en lumière un ou deux de ses mondes sous prétexte de les découvrir, de les connaître et de les apprécier à fond. Le ralentissement permet la profondeur mais limite le nombre de champs éclairés. C’est peut-être là le seul choix auquel nous sommes confrontés.
Comme Jean-Jacques Rousseau, entre l’amplitude et la profondeur, je me sens tiraillée.

Au milieu de mes crayons et de mes pinceaux j'aurais passé des mois entiers sans sortir. Cette occupation devenant pour moi trop attachante, on était obligé  de m'en arracher. Il en est ainsi de tous les goûts auxquels je commence à me livrer; ils augmentent, deviennent passion, et bientôt je ne vois plus rien au monde que l'amusement dont je suis occupé. L'âge ne m'a pas guéri de ce défaut, et ne l'a pas diminué même, et maintenant que j'écris ceci, me voilà comme un vieux radoteur engoué d'une autre étude inutile où je n'entends rien, et que ceux mêmes qui s'y sont livrés dans leur jeunesse sont forcés d'abandonner à l'âge où je la veux commencer.

Jean-Jacques Rousseau: Les Confessions