Eclat de pyrite dans un bol tourné |
Il faut apprendre
à glisser et à lâcher plus qu'à faire œuvre de force.
On soulève
l'argile plus qu'on ne la resserre.
Il faut apprendre à glisser et à lâcher plus qu'à
faire œuvre de force.
L’analogie entre l’argile et l’homme provient peut-être de ce que les
mythologies des peuples, puis les religions ont placé l’argile au fondement de
la vie.
Par ailleurs, à l’origine, l’homme comme l’argile est le résultat de
transformations
L’argile, la terre que je tourne, provient, du fond des âges, de
l’altération de silicates.
Du côté de l’homme, depuis l’aube des temps, toutes les expériences
humaines participent à l’élaboration de ce que C.G. Jung appelle
« l’inconscient collectif ». De même, depuis toujours, les variations
du matériel génétique participent à la création d’un individu que je nommerais
« l’individu collectif ».
Chaque enfant naît avec ce patrimoine collectif hérité des milliers de
générations précédentes. C’est pourquoi il est lui, et pas seulement une
combinaison de son père et de sa mère. Il a en lui des forces et des faiblesses
qui lui appartiennent en propre et sur lesquelles je n’aurai jamais aucune
prise. C’est pourquoi il faut apprendre à
« glisser » et à « lâcher » plus qu'à faire œuvre de force.
Sur le tour, c’est l’eau qui facilite le glissement de l’argile entre
les mains. Si on ne mouille pas assez, les mains frottent la terre et on risque
inévitablement de la décentrer. Mais si, au contraire, on met trop d’eau, la
motte de terre se ramollit et il sera très difficile de lui donner forme.
En famille, ce sont la douceur et la prévenance qui facilite le
développement de l’enfant. Si je n’en mets pas suffisamment, des frictions apparaissent
dans mes rapports avec lui. Par exemple, lorsque je suis trop occupée pour lui
accorder suffisamment de temps. Ou alors lorsque je pense qu’il doit s’aguerrir
pour affronter la dure réalité de la vie. Ou quand je pense à tort – peu
importe l’âge qu’il a - qu’il est assez grand, assez fort pour faire face à ce
qui lui arrive ; et que s’il n’y arrive pas, il apprendra de ses échecs.
Ce manque de douceur et de prévenance entrave sa progression, le décentre en
quelque sorte.
Mais si, au contraire, je lui accorde douceur et prévenance en excès, il
aura beaucoup de difficultés à exercer et développer sa propre force et sa
confiance en lui. Par exemple, lorsqu’à la moindre frustration – peu importe
son âge -, je réponds sans attendre par des gestes tendres et la satisfaction
de ses désirs. Mais aussi, lorsque
je vais au devant de ses désirs matériels : nourriture, jouets, activités
diverses. Et de même si je m’efforce de prévenir tout danger avant l’apparition
même d’un risque. Cet excès de douceur et de prévenance entrave la structuration
de sa personnalité et sa confiance en lui.
Quant à faire œuvre de force,
sur le tour du potier, la terre y
répond par le décentrage ou la malformation. Pour l’enfant, les dégâts, bien
que très souvent peu visibles, n’en sont pas moins présents.
On soulève l'argile plus qu'on ne la resserre.
Pour centrer la motte de terre sur le tour, on n’y parvient pas en la
serrant entre nos mains de toutes nos forces. Au contraire, c’est en soulevant
l’argile de part et d’autre alors qu’elle tourne sur la girelle que l’on y
arrive. Les deux mains soulèvent la terre et la font redescendre à de
nombreuses reprises jusqu’à ce qu’elle soit centrée.
Pour élever mon enfant, je
n’utilise pas la contrainte physique et mentale. C’est avec respect et
tendresse que je l’accompagne dans sa marche et ses chutes, dans ses joies et
ses chagrins, jusqu’à ce qu’il soit autonome.
A l’instar de toute activité artistique, l’éducation des enfants
s’avère, malgré toutes nos
aptitudes et tous nos désirs, souvent imprévisible. A la sortie du four, le bol
apparaît tel que la magie du feu l’a révélé : unicité, intégrité, beauté
mais aussi parfois, venant des profondeurs de la terre, paré de curiosités
inattendues (grain de pyrite contenu dans l’argile). De même à l’âge adulte,
une personne apparaît telle que le feu de la vie la révèle : unicité,
intégrité, beauté mais aussi parfois, venant du fonds des âges, parée de
curiosités inattendues. Unicité, intégrité, beauté et inattendu :
composants essentiels de l’œuvre d’art.
(à suivre)