mardi 4 avril 2017

Clair-obscur/mémoire-oubli

Clair-obscur- Chiaroscuro


La mémoire est duale de l'oubli: la pérennité du souvenir repose sur la perte de ce que l'on a choisi d'oublier.
Une photographie est considérée comme la mémoire d'un instant parce qu'elle est un oubli de tous les autres instants. Avant l'instant de la prise de vue, depuis la nuit du temps de sa fabrication, la surface sensible est préservée de la lumière, afin qu'elle ne se souvienne d'aucune lumière...
Philippe Matherat. "Éphémère "

L’oubli, on peut en faire l’expérience lors des rencontres familiales. Elles sont l’occasion d’évoquer un passé commun. Or, à chaque fois, je suis surprise par la multiplicité des souvenirs des uns et des autres. J’en reconnais certains, mais pas d’autres que j’avais certainement choisies, consciemment ou inconsciemment, d’oublier.
Il en va de même de mes intérêts, de mes passions du moment. Si je me concentre  aujourd’hui sur ceci plutôt que sur cela, c’est que j’ai choisi d’oublier cela.
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Mais s’agit-il vraiment de perte, s’agit-il vraiment d’oubli. Et si l’on parlait plutôt des multiples facettes de nos vies, de nos personnalités, et de leur mise en lumière. Et si l’on considérait qu’elles avaient toutes, bien que très différentes l’une de l’autre, la même importance, ce que Montherlant nomme « l’équivalence » ? Et leur mise en lumière à tour de rôle, c’est ce que ce même écrivain nomme « l’alternance ».

Quant au « choix », c’est une notion qui me paraît illusoire. Si l’on considère que la vie est une sphère aux nombreuses facettes, peut-on arrêter son mouvement ? Nous tombons tous, plus ou moins souvent dans le piège de vouloir l’immobiliser pour mettre en lumière un ou deux de ses mondes sous prétexte de les découvrir, de les connaître et de les apprécier à fond. Le ralentissement permet la profondeur mais limite le nombre de champs éclairés. C’est peut-être là le seul choix auquel nous sommes confrontés.
Comme Jean-Jacques Rousseau, entre l’amplitude et la profondeur, je me sens tiraillée.

Au milieu de mes crayons et de mes pinceaux j'aurais passé des mois entiers sans sortir. Cette occupation devenant pour moi trop attachante, on était obligé  de m'en arracher. Il en est ainsi de tous les goûts auxquels je commence à me livrer; ils augmentent, deviennent passion, et bientôt je ne vois plus rien au monde que l'amusement dont je suis occupé. L'âge ne m'a pas guéri de ce défaut, et ne l'a pas diminué même, et maintenant que j'écris ceci, me voilà comme un vieux radoteur engoué d'une autre étude inutile où je n'entends rien, et que ceux mêmes qui s'y sont livrés dans leur jeunesse sont forcés d'abandonner à l'âge où je la veux commencer.

Jean-Jacques Rousseau: Les Confessions

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