Paysage du Vermont en 1973 USA |
C’étail il y a presque un demi-siècle ; j’avais
vingt ans et j’étais encore( ?) déjà ( ?) une vieille enfant.
Mon apprentissage de jeune fille au pair commence dans le hall d’arrivée de l’aéroport de
Boston. « Parents » pour moi ça veut dire « vieux », vieux
comme mes propres parents, mais eux ont l’air beaucoup plus jeunes que moi. Si
jeunes qu’ils pourraient être mon frère et ma sœur. Bob (Robert) et Connie
(Constance) sont les parents des trois enfants dont je vais avoir à m’occuper ces
prochains mois. Tenue d’étudiants en vacances, décontractés, très souriants,
expansifs, ils m’accueillent comme si j’étais une de leurs camarades de
collège.
Après une petite heure de voyage
silencieux – je ne connais pas un mot d’anglais et ils ne savent pas le
français – nous sommes accueillis dans une grande maison de Swampscott, banlieue chic en bord de mer. C’est la
maison familiale des parents de Connie. Ils sont là, avec les trois frères , la
sœur et son mari et : Lizzy (Elisabeth) 7 ans, Larry (Lawrence) 5 ans, Debbie (Deborah )3 ans, les trois
enfants de Connie et Bob . Tous les membres de cette famille, à
l’exclusion du beau-frère, sont plus petits que moi. Tous sont très mal
habillés - Droits en avant, disait ma
maman en parlant des personnes qui
ne soignaient pas leur apparence physique et vestimentaire – alors que moi j’ai
mis mes habits les plus chics pour faire bonne impression dans ce milieu de
professions libérales (médecin, avocat, professeur d’université). Et puis, ma passion c’est la mode. C’est pour l’assouvir que j’ai rejoint
le monde du travail à seize ans (déjà une
vieille enfant). Issue d’une
famille nombreuses à la compagne,
il me fallait trouver une source de revenus pour vivre comme je
l’entendais.
Tout le monde prend place autour de
la table incroyablement chargée de victuailles. On m’a placée à côté du
beau-frère qui parle un peu français. Il fait les présentations et m’explique
la raison de cette rencontre de famille. Nous sommes le quatrième jeudi de novembre, Thanksgiving. C’est «La Fête » aux Etats-Unis,
familiale par excellence. Je n’en avais jamais entendu parler. Je découvre avec
grand plaisir : la dinde farcie, la purée de patates douces, la confitures
d’airelles, le pain de maïs et la
tarte aux noix de Pécan.
Les trois enfants me détaillent pendant
que les autres me questionnent par beau-frère interposé. Est-ce que mon père
est banquier, car c’est, à leur connaissance, la profession exercée majoritairement dans mon pays. Est-ce
que je connais le « bon mot » suivant : « Quand tu vois un
Suisse sauter par la fenêtre, suis-le car
là où il va il y a de l’argent ! »
Comment prononce-t-on mon
prénom ? Et les enfants de s’esclaffer en entendant la traduction Mary Christmas. Et mon nom de
famille ? G u é ? Comme gay ?
« ça ne doit pas être facile tous les jours de porter un tel nom de
famille ! » Pourquoi me disent-ils ça ? »
Et je crois que c’est à cette
occasion que j’entends le mot « homosexuel » pour la première fois de
ma vie ! (Quand je vous dis : encore
une enfant…)
A la tombée de la nuit nous prenons
la route pour la Nouvelle Angleterre, les trois enfants dans le cocon rempli de
coussins de la voiture de Connie. Alors que je m’installe dans la deuxième
voiture, au côté de Bob. Après
trois heures de route, la neige ralentit notre allure. « Five
minutes » me dit mon chauffeur alors que la voiture quitte la grand-route
et s’engage dans une petite route forestière qui monte en lacets, laissant
apparaître ici et là quelques rares habitations de bois sombre, de construction
très moderne : immenses baies vitrées et larges terrasses. Peu après avoir
franchi le plus haut point de la colline, la route s’arrête devant une
magnifique maison de bois dont la couleur et l’architecture se confondent avec l’environnement boisé comme je le
constaterai le lendemain au réveil. Toutes les pièces de la maison, sauf les salles de bain, ma chambre et le
bureau de Bob à l’entresol, donnent sur un pré en pente légère orienté
sud-ouest et un horizon lointain
de collines boisées qui me font penser au paysage jurassien.
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