lundi 25 décembre 2017

Ma découverte de l'Amérique 3

 C'était il y a presque un demi-siècle...

Les parents ne sortent presque jamais le soir et quand ils  le font, ils m’emmènent avec eux et engagent une autre babysitter pour garder les enfants. Ou bien, comme Bob aime beaucoup aller au cinéma, je vais avec lui et c’est la maman qui reste avec les enfants !
Avec lui je découvrirai un film d’une rare violence qui me fera découvrir l’envers du décor des histoires de batailles entre cavalerie américaine et Indiens. Il s’agit de Soldat bleu qui est tiré de l’histoire vraie du massacre de Sand Creek au Colorado en 1864. C’est le premier film du genre prenant le parti des Indiens. C’est un playdoyer contre la guerre alors que les informations télévisées montrent chaque jour des manifestations populaires contre la guerre au Vietnam.

La télévision occupe une grande place dans la vie familiale et elle joue un rôle important dans mon apprentissage de la langue anglaise. Le rendez-vous quotidien avec l’émission pour les enfants Sesame Street s’est révélé si efficace qu’au bout de trois mois, je n’avais plus de difficulté de communication dans la vie quotidienne. Puis ce seront les journaux d’informations, les reportages, les débats politiques et les commentaires directs des parents qui vont me permettre de développer très rapidement un discours argumenté sur l’actualité en général . (je n’oublierai jamais les invectives adressées par Connie à Nixon par écran interposé : « He is a crook ! » (car je vis le Watergate en direct) et les différences entre les points de vue du Vieux et du Nouveau continent en particulier.

Bien que la frontière québéquoise soit très proche, la famille n’a trouvé personne capable de parler en français avec moi pendant mon séjour chez elle. Je rencontrerai à Dartmouth College (qui est en fait une université) quelques étudiants qui ont pris des leçons d’allemand, plusieurs autres des leçons d’espagnol. Ce manque d’intérêt pour l’apprentissage des langues m’interpelle encore aujourd’hui quand j’ai l’occasion de rencontrer des Américains dans leur pays ou à l’étranger. Pour l’heure, comme il n’y a pas possibilité de prendre des cours d’anglais pour débutant dans la région. Connie, qui travaille à Dartmouth College en tant que biologiste ( elle enseigne et fait de la recherche sur le cancer à Dartmouth Medical School) trouve une professeure disposée à m’intégrer à sa classe d'anglais, seconde langue.
Tous les mercredis matins, la mère de famille me dépose devant un des batiments du collège et je prends place autour de la table avec trois étudiants japonais, un allemand, deux afro-américains, deux indiens Cree et un métis afro-américains/Cree (« celui-ci cumule les handicaps » me dira la prof quand nous aurons fait plus ample connaissance). Car, malgré les apparences et la volonté historique d’intégration de l’institution (quota imposé par le Conseil de Fondation et attributions de bourses)  la ségrégation est visible au quotidien et celle pratiquée à l’égard des Indiens dépassent l’imagination. C’est ce que je vais découvrir dans ce cours qui se base sur la découverte de l’autre par le dialogue. La grammaire en fait partie aussi car mes camarades, eux, devront passer un examen de connaissances de la langue qui décidera si le niveau atteint leur permet d’intégrer la formation universitaire. Notre professeure s’appelle Mimi Sensenig. Elle est d’origine hongroise et a fui son pays pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Elle parle un peu allemand mais pas du tout le français. Elle me ramènera quelquefois chez moi après le cours mais le plus souvent je ferai du « stop »!


La bibliothèque universitaire devient un de mes endroits favoris. On y trouve quelques oeuvres classiques  de Corneille, Racine, Molière, mais c’est toute La Comédie humaine  de Balzac que je vais dévorer pendant les trois premiers mois. Puis ce sera en anglais les sœurs Brontë que j’avais déjà lues en français, Jane Austen, Daphné Du Maurier, mais aussi Bernard Malamud, Arthur Miller, Carson McCullers, Patricia Highsmith, Irving Stone et bien d'autres. Et aujourd’hui encore il me suffit de me plonger dans un roman en anglais pour que ma tête aussitôt se mette à penser dans cette langue.
Dartmouth College 1974

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