lundi 30 juillet 2018

Une aventure indienne 10

Présentation d'un repas dans un restaurant bien fréquenté

Manger et boire
On mange avec les doigts de la main droite. C’est si naturel que partout où je suis allée, on n’a jamais pensé que je me servais d’un couteau et  d’une fourchette à table. Après deux mois, je reste cependant attachée à mes habitudes européennes : au restaurant comme chez les particuliers, je demande des services car ils ne sont jamais mis d’emblée à disposition. Bien que je comprenne le plaisir que l’on peut éprouver à manger avec nos cinq sens (l’ouïe un peu moins heureusement), je n’aime pas en avoir plein les doigts sans compter le fait que je suis bien maladroite avec cinq doigts seulement.
C’est frappant : en arrivant chez un particulier ou dans un restaurant, on vous invite à aller vers un lavabo pour vous laver les mains. Ce n’est qu’ensuite qu’on vous présentera un siège ou une table. 
 
LA pâtisserie d'ici: le ladoo
En parlant boisson : Surprise ! Partout on vous verse un verre d’eau bouillante pour accompagner le repas. Si on m’avait dit qu’un jour, je boirais un verre d’eau bouillante avec grand plaisir… Dans la communauté des religieuses où je séjourne, l’eau potable passe d’abord par un dispositif de filtrations (Aquagard RU, Reviva), puis elle est bouillie et ensuite stockée dans de grandes jarres en aluminium.
Et l’on boit du thé, du thé au lait très sucré et légèrement épicé. C’est délicieux quoiqu’un peu trop sucré à mon goût. On boit aussi du café, sucré, si léger qu’on peut confondre une tasse de thé noir avec une tasse de café. Mais surtout, toutes ces boissons sont servies brûlantes et bues avec une rapidité impressionnante.
Eau potable: étape 1
Eau potable: étape 2









Au Kerala, les boissons alcoolisées ne sont disponibles que dans des magasins spécialisés (on trouve de la bière et du vin indiens) que je n’ai jamais vus encore et fumer est strictement interdit dans tout l’espace public.
Eau potable: étape 3

Tous les matins au déjeuner, je pèle et mange une banane qui a bouilli dans l’eau pendant 20-25 min. Délicieux. En plus, au choix : un œuf, cuit dur ou au plat, une crêpe (j’ai bien dû en goûter une 20aine de sortes différentes pendant ces deux mois : chapati, dosa et autres…), de la purée de tapioca, des röstis et différentes préparations de poisson en sauce. 

A midi et le soir, c’est du riz, pas toujours le même, des haricots (tous les jours depuis deux mois) et plusieurs autres légumes cuits et épicés, du poisson (une à deux sardines grillées par personne, ou trois petites crevettes en sauce), ou du poulet (trois fois rien !). Du curry de pommes de terre ou du curry de noyaux de jackfruit que l’on mange avec le riz. Beaucoup d’hydrates de carbone, de fibres, mais très peu de graisse (sauf au dessert) et très peu de protéines. De la banane, on mange la fleur en légumes et l’intérieur du tronc en curry. Et des fruits (pendant la saison des pluies le choix est restreint): petites bananes, mangues, rambutams, fruits de la passion grenades, papayes, jackfruits et avocats. Ces derniers sont mangés en dessert : un grand avocat  par personne que l’on écrase dans un bol en ajoutant du sucre et du jus de citron (délicieux !). 
Atchapam (typique Kerala)

Des pâtisseries au miel, au sirop de sucre et ghee, plus ou moins épicées (délicieuses). De la friture mais pas de mets cuits au four, il n’y a pas de four dans les cuisines. Le soir, après le souper, nous buvons « une tasse de chaud » (bouillant !) aux épices (excellente pour la santé, disent-elles). La préparation des repas prend un temps fou dès le matin aux aurores. 

Plan de cuisson dans le couvent
La communauté a un jardin mais la plupart des légumes viennent du marché. Elle a aussi un coq et des poules. L’autre soir, une des Sr disait que les poules chantent différemment quand elles se sentent menacées !! Car il y a ici des serpents et des mangoustes attirées par ce gibier. A Calicut, je n’ai pas vu de grands marchés de produits frais (mais il y en a un!). Partout dans la ville, on trouve tout ce que l’on cherche sur de petits chariots, de petits étals le long des rues. Pour le reste, il y a aussi quelques supermarchés, et en périphérie, des centres commerciaux comme chez nous, sauf que ce sont les bijouteries qui occupent la place.

En bref, je me réjouis de retourner manger à l'Alphabet à Fribourg. Je me réjouis de faire "ma cure" de produits laitiers au retour: beurre, gruyère, vacherin et sanglé de la laiterie de Châtonnaye, yogourts, et de refaire et manger du pain avec un bon verre de Javet-Javet!

jeudi 26 juillet 2018

Une aventure indienne 9

Plantations de thé dans les Nilgiris, près de Devala

De Calicut à Mysore
Sous la pluie battante de la mousson, nous voilà partis pour un nouveau week-end de découvertes. Nous traversons des plantationsd’araka nuts qui poussent sur de hauts palmiers à tronc parfaitement rectiligne chapeauté d’un petit bouquet vert. Si l’on se focalise sur l’alignement des troncs, on se croirait en train de traverser une forêt de bouleaux, même coloris. Puis ce sont les plantations d’hévéas. Sur l’entaille qui laisse s’écouler le latex, on a placé une petite cape de plastique pour empêcher l’eau d’entrer en contact avec le liquide recueilli. Avant d’emprunter la route sinueuse qui grimpe la montagne, nous traversons de vastes plantations de bois de tek.
A plus de 2000 m. d’altitude, il ne reste plus rien de la forêt tropicale encore intacte ici il y a une quarantaine d’années. Elle a été remplacée par des plantations de thé et de café dans lesquelles s’activent des Shrilankais ayant dû quitter leur île pour cause de conflit armé à la même époque. Déracinement des uns et des autres. A Devachala, les religieuses nous expliquent qu’elles n’ont pas besoin de chiens ou de gardiens car la nuit appartient aux éléphants, aux ours et autres félidés. Personne ne s’aventure au dehors après le coucher du soleil (sic). Manquant de nourriture dans le peu d’espace qui leur reste, ces animaux sauvages viennent la chercher la nuit, dans les villages, occasionnant des dégâts et parfois des blessés. 
Un paysage comme on en voit aussi en Asie du Sud-Est : des plantations de thé, piquées ça et là d’eucalyptus et de chênes argentés, ondulent harmonieusement au gré des collines. Devala, est connu pour l’or  que certains y trouvent et comme l’endroit où les précipitations sont les plus abondantes dans tout le sud de l’Inde. Cernés par le brouillard et le froid, nous nous glissons avec peine dans nos draps humides et glacés pendant qu’au dehors les crapauds coassent en imitant un bruit "d'embrayage de moteur ».
Au dispensaire, les religieuses ont à combattre la typhoïde surtout. Auparavant c’étaient plutôt les morsures de serpents et les hémorragies provoquées par un petit ver qui plante sa griffe entre les doigts ou les orteils des travailleurs des plantations.
Dans la réserve forestière

Le lendemain, nous quittons l’humidité froide et la pénombre de ce bout du monde, où les Sœurs étaient si heureuses d’accueillir des visiteurs.
Dans la plaine, nous traversons une réserve forestière peuplée d’animaux protégés comme l’éléphant et le tigre. Pas de tigres en vue mais des éléphants, beaucoup de gazelles, des phacochères et de nombreux paons camouflés dans le paysage.
Arrivés aux environs de Mysore peu avant midi, nous faisons une halte au barrage KRS (Krishna Raja Sagara) sur la rivière Cauvery et au grand parc  Brindavans, fleuri et agrémenté de plans d’eau aménagé au pied de l’édifice. Les jardins supérieurs ne sont pas accessibles durant la mousson. De ce fait, il y a moins de monde que d’habitude. L’entrée est payante et le soir, de nombreux spectacles de jeux de lumière dans les fontaines y sont organisés. 
Petits en-cas préparés à l'entrée du parc

En plein coeur de Mysore, nous visitons le palais du roi et de la reine de la 27egénération, qui y habite encore aujourd’hui. Le palais tel qu’on peut le voir actuellement, date de la fin du XIXe s. Vaste, coloré, un peu trop prétentieux à mon goût, il se situe au centre d’un immense parc délimité par des portes édifiées en direction des points cardinaux. Les portes me paraissent plus intéressantes à voir que le palais lui-même.
A 16 h. nous quittons Mysore pour rejoindre Calicut à 200 km de là. Il nous faudra 5 h.30 pour faire le trajet. Et la dernière moitié dans la nuit, sous des trombes d’eau, en passant par un col très pentu, en évitant les éboulis dus à la mousson, les camions et les bus plus pressés que nous.
Salle centrale du Palais de Mysore

lundi 23 juillet 2018

Une aventure indienne 8

Gopura de Murdeshwar avec échafaudages

Un week-end à Udupi 2 (suite)
Samedi, en route pour Murdeshwar. La ville se situe au bord de la mer d’Arabie à moins de 150 km d’Udupi. C’est là que se trouve la deuxième plus grande statue de Shiva au monde . (Murdeshwar est un autre nom du dieu Shiva). Entouré sur trois côtés par la mer, le temple est bâti sur la colline de Kanduka. A l’entrée, une gopura, haute tour de pierre de dix-huit étages avec ascenseur. Toutes ses façades sont recouvertes de bas-reliefs directement sculptés dans la pierre. Et le temple de Soleshwar, bâti au Xe s. par les rois de la dynastie Chola est encore un bijou d’architecture intérieure avec, tout autour et au centre de la cour intérieure, des petites chapelles, autels abritant des sculptures de différentes grandeurs des diverses représentations de Shiva, fleuries, éclairées par des lampes à huile, des bougies. 
Soleshwar Temple, cour intérieure
Même colonnes de pierre sculptée, même charpente démontrant l’indescriptible maîtrise des artisans du bois et de la pierre. Mêmes activités, même officiants et mêmes pratiquants que dans le précédent. 
Shiva à Murdeshwar

Au sommet de la colline, la fameuse statue de Shiva assise sur une grotte circulaire abritant une dizaine de représentations grandeur nature de scènes contées dans les livres contant les aventures des dieux. Les attitudes et les mimiques des personnages ont la même expressivité exagérée que ceux que l’on peut voir en faisant le Sentier des Chapelles entre Saas Grund et Saas Fee. Et sur le chemin du retour, avec son immense portique aux bas-reliefs sculptés dans du marbre blanc,l’édifice le plus beau que j’aie vu à ce jour avec, sur sa poutraison de bois précieux, des centaines de danseuses sculptées dans le bois évoluant au gré de leurs invraisemblables contorsions. C’est le temple de Kumbashi, aux portes recouvertes d’or repoussé représentant Laksmi aux quatre mains. 
Kumbashi Temple

Dimanche, on change de religions, on va à la découverte des Jaïns, religion qui remonterait au IXe s. av. J-C. Pas de représentations des dieux, une grande sobriété dans l’architecteure extérieure et intérieure de leurs lieux de culte : des reliefs scuptés en ronde-bosse dans la pierre. Et devant les autels, un peu de poussière et quelques grains de riz. Les lignes sont pures, c’est sobre, dépouillé et silencieux. 
Premier site visité : au sommet d’une colline de granit  le temple qui se situe derrière la statue du saint jaïn Bahubali, monolithe de granit de 18 m. de haut, datant du Xe s. 
Bahubali

Le deuxième temple, en face, sur une autre colline granitique, est le Chaturmukha Basadi, temple à quatre faces similaires érigé à la fin du XVIe s. en granit massif taillé. Le troisième, Saavira Kambada Basadi, le temple aux mille piliers qui remonte au XVe s. On a tout d’abord construit un temple abritant l’idole Chandranath puis on l’a agrandi en plusieurs étapes. Mais le tout est un ensemble homogène de mille piliers représentant chacun une histoire gravée dans la pierre. L’alignement harmonieux des piliers et la simplicité de leur gravure témoignent là aussi de l’art consommé des artisans qui y ont travaillé. Tous ces temples ont en commun d’avoir tout ou partie de leur toit, recouvert de grandes et épaisses plaques de granit étagés comme d’immenses tuiles irrégulières.
Saavira Kambada Basadhi / Temple aux mille piliers

Week-end intense et varié avec en plus quelques petits détails saillants :
- une rencontre avec la Beauté au détour d’un couloir : un regard noir de velours dans la sublime silhouette de la perfection incarnée ;
- les rires des vachers du temple s’ébrouant sous le puissant jet d’une conduite d’eau au fond de l’étable ;
- la dentelle scintillante des fourmis géantes qui trottinent dans la lumière sur un barreau de la buanderie-véranda où je me lave les dents ;
- un rat, squatteur de moteur et rongeur de cablerie, qui nous oblige à séjourner deux heures dans un garage au milieu du trajet ;
- les routes défoncées qui limitent à 20-30 km/h, la vitesse du trafic .
Et dans le train du retour, la petite Elaina, cinq ans et demie qui révise son alphabet hindi sur le téléphone de sa maman car elle a un examen lundi matin ! Sa langue maternelle est le malayalam (langue du Kerala), à l’école elle apprend l’hindi et l’anglais (langues nationales)  et le week-end elle apprend l’arabe car elle est musulmane. Ce qui lui fait : quatre alphabets différents à apprendre !

vendredi 20 juillet 2018

Une aventure indienne 7

Bonne 2e classe mon wagon

Un week-end à Udupi 1
Invitée par les parents d’Athulya, l’étudiante à laquelle je donne des cours privés de français, je passe la fin de semaine dans l’Etat du Karnataka, voisin du Kerala. Quatre heures de train : le temps de faire un brin de causette avec mon voisin de siège,  Krishna, qui s’est spécialisé dans le croisement des plants de canne à sucre et qui est aussi rameur pour les compétitions de barques traditionnelles à 100 rameurs (il me montre ça en vidéo sur son téléphone). Il me prête aussi son mot de passe wifi, me permettant ainsi de faire quelques recherches sur internet. Sur le siège devant moi, un acteur vedette de la TV locale plaisante avec ses voisins.
Arrivées à Mangalore, nous prenons un bus pour Udupi à une heure d’ici. Véhicule qui se remplira à mi-chemin avec les passagers d’un bus précédent tombé en panne. Il faut dire que l’état de la route met à rude épreuve tous les véhicules.

Udupi est connue pour son université de Manipal. Dans les villes de cette importance, quelques centaines de milliers d’habitants, il y a plus de maisons individuelles que d’appartements dans de grands immeubles, tous d’apparition récente. C’est une vieille maison (30 ans) à toit plat et façade massivement attaquée par la moisissure, entourée d’un petit jardin tropical où poussent des manguiers, sept cocotiers, des bananiers, des papayers, un jaquier, trois plans d’ananas et quelques légumes racines. Mais pas de fruits en ce moment : c’est la mousson. Il y a aussi des poules faméliques et un coq dans des clapiers ; et le chien de garde que l’on détache la nuit et quand il n’y a personne à la maison.
L’intérieur est modeste : une entrée salon avec une immense portrait de famille au mur et un chandelier-crucifix que l’on allume quand on souhaite le meilleur pour… . Un petit local de prières avec bible ouverte, chapelets suspendus au mur, statues et bougie allumée. Trois petites chambres à coucher, une salle à manger-salon de télévision avec une grande photo encadrée des parents (photo habituelle dans toutes les familles, mais que l’on ne suspend que quand les parents sont décédés). La télévision mais pas de wifi. Une grande cuisine, mais pas de four, un WC-salle de bain et une buanderie. 
Foyer dans la façade arrière de la maison
Réservoir d'eau chaude sous le couvercle









Pas d’eau chaude au robinet (comme partout où je suis allée – il faut dire qu’il fait si chaud qu’une bonne douche froide est un réel plaisir), mais ici, il y a un petit foyer creusé dans la façade extérieure de la maison, dans lequel on brûle les coques de noix de coco séchées, pour chauffer l’eau d’un petit réservoir ouvert à l’intérieur de la salle de bain. Des barreaux aux fenêtres, du verre dépoli comme partout. Fenêtres qui ne sont que rarement vraiment closes. On ne voit pas à l’extérieur mais on entend, croyez-moi !

Après un thé de bienvenue avec flancs à la semoule (ananas, noix de cajou, sucre, curcuma et ghi) départ pour la visite d’un temple hindou en ville : Sree Krishna. Pas qu’un temple mais une enclave dans la ville, un petit quartier de huit temples, d’échoppes et de restaurants. Ce qui frappe en arrivant c’est un monceau de bois. Il est utilisé pour faire le repas qui est servi gratuitement, à tous ceux qui le veulent, tous les jours en milieu de journée. Cela ne se fait pas dans tous les temples.
Sree Krishna Temple Udupi

Puis c’est l’étable des vaches des dieux, car ceux-ci aiment les vaches et ça leur fait plaisir d’en avoir près de leur demeure. Un bassin pour les ablutions et sur les escaliers quelques méditants : statues de chair au pied des statues de terre se pressant sur les façades et les toits. A l’intérieur, la lueur des bougies éclairent faiblement la poutraison, nouée comme un macramé et ciselée comme de la dentelle. Des chandeliers circulaires géants de métal noir à assise en forme de tortue, étagent des vasques d’huile débordantes de larmes de  feu. Au creux de niches tapissées de feuilles de métal finement repoussées, dorées ou argentées, des statuettes des dieux, en métal ou en pierre, fleuries de guirlandes colorées et parfumées. Quelques fidèles, hommes et femmes, assis en position du lotus prient au pied d’un grand autel. Un prêtre distribue une « communion » sous forme liquide dans le creux de la main de ceux qui la lui tendent. Plus loin, des serviteurs du temple préparent de larges plats de pétales de fleurs, pendant que d’autres sont en plein « accompagnement spirituel » : d’une jeune mère portant son bébé ou d’un vieil homme inclinant sa tête en tendant l’oreille. 
Chandelier un peu comme les grands à l'intérieur

Nous faisons le tour d’une salle abritant les tombes de granit des officiants du lieu et débouchons sur une grande halle où le public écoute ou filme avec son téléphone portable (ici les photos sont permises mais jamais, au grand jamais, à l’intérieur même des temples) une belle chanteuse à la voix envoûtante accompagnée de deux musiciens : tabla et petit orgue à soufflet et manivelle.         (suite)

jeudi 12 juillet 2018

Une aventure indienne 6

En entrant dans une de mes salles de classe
Une aventure indienne 6

Après vingt-quatre heures de pluie diluvienne, la décision est tombée : pas d’école aujourd’hui dans toute la région. Mais les services administratifs sont là, de même que certains enseignants. Et quelques seminaires ont lieu malgré les conditions de circulation aléatoires, voire dangereuses. Le congé a été annoncé hier soir par les médias. C’est la troisième fois que ça arrive en cinq semaines. Il y a eu aussi la grève des étudiants : deux fois une journée.
La mousson impacte les conditions d’enseignement. Hier pendant mon cours, je devais crier pour me faire entendre de mes étudiants. Il faut vous imaginer une averse continue de hallebardes, claquant sur les toits, les balcons, cinglant les palmiers alentours. Et pour densifier le vacarme : les pales des grands ventilateurs suspendus au plafond car l’atmosphère est comparable à celle de la serre des plantes tropicales au Jardin botanique. A part ça, dans la classe, malgré les très nombreuses fenêtres  donnant sur l’extérieur , une semi-obscurité requiert d’allumer la lumière toute la journée. 

Ils sont 1000 élèves dans cette école. Ils portent un uniforme qui diffère selon les voies d’études. La grande majorité y étudie pour obtenir une Licence (j’enseigne le français aux 1èreet 2èmeannée dans des classes d’environ 20 à 35 élèves). Mais certains préparent un Master alors que d’autres obtiendront un Diplôme. 
Les cours commencent à 9 :30 par une prière chantée au micro, à tour de rôle par une étudiante, puis une brève prière dite au micro. A part ça, aussi  une « Today Thought » que je traduirais par :  « Pensée/réflexion d’aujourd’hui », écrite sur le tableaux noir en classe. Hier dans ma classe c’était « Synergy ». J’ignore s’il y en a dans chaque classe et si elle est différente au gré des professeurs ou des étudiants. 
Entre chaque cours retentit une sonnerie assourdissante. De 12 :30 à 13 :30 c’est la pause repas. Il y a une cantine sur le campus et beaucoup d’étudiants mangent « sur le pouce », comme chez nous, parfois même dans la classe !  Pour le plus grand nombre, les cours se terminent à 15 :30. C’est à ce moment-là que je donne des cours de français aux professeurs intéressés.

Les religieuses cherchaient une volontaire pour enseigner le français à partir de l’anglais à des débutants. Pendant les trois mois précédents mon départ en Inde, j’ai élaboré mon cours de « French Through English » grâce à deux livres de grammaire commandés aux Etats-Unis mais aussi avec le résultat de mes nombreuses recherches sur Internet pour glâner ici et là ce qui me permettrait de donner un enseignement de français « à travers l’anglais » digne de ce nom. Mon année de cours FLE (Français Langue Etrangère) pendant la première année de ma Licence de Français Lettres Modernes, m’a aussi été d’un grand secours.

Présentation PowerPoint, enregistrement PDF, envoi en fichiers joints sur mon adresse mail, exportation sur une clé USB, copie papier du cours ; je m’étais préparée à être à l’aise avec plusieurs supports d’enseignements différents selon ce que j’aurais à disposition. Je me retrouve avec des craies blanches et un tableau noir ! Il y a bien un beamer comme on me l’avait dit, mais il n’y en a qu’un pour tout le département « langues », utilisé la plupart du temps. Je me vois mal l’emprunter tous les jours, moi la vieille Européenne qui vient donner un cours pendant deux mois. Par ailleurs, en 2eannée, je dois utiliser le manuel prévu Echo A1, qui n’est plus disponible tel quel (les élèves en ont des photocopies). Un manuel tout en français, bien conçu pour être une bonne base d’apprentissage de la langue et de la culture de la France. Normalement c’est une religieuse indienne, qui a appris le français en Inde, qui enseigne cette langue. Toutes les écoles de ce niveau de formation, dispensent des cours de français, langue qui conserve un certain prestige ici.
 
6 professeurs se partagent ce bureau et c'est pas grand!
A la sortie de mon premier cours, un étudiant m’a demandé si j’avais lu un écrivain français du nom de Nietzsche Par-delà Bien et Mal. Et trois étudiantes m’ont demandé l’adresse de mon compte Instagram !!! Quand ils arrivent pour le cours alors que le professeur est déjà dans la classe, ils restent sur le pas de la porte jusqu’au moment où on les invite à venir s’asseoir. 
Lors de mon deuxième rendez-vous avec eux, j’ai demandé à chacun de tirer au sort un prénom français, comme dans un jeu de rôles. C’est ainsi plus facile à se rappeler qui est qui. Ils se sont beaucoup amusés avec ça. Bien qu’un peu dissipés, ils sont vraiment sympathiques. Mais comme partout, on dirait que certains n’en ont rien à faire de suivre ce cours. C’est eux que j’interpelle le plus souvent avec mes questions et ça fait bien rigoler les autres. Après le cours, je me sens pleine d’énergie. On dirait que j’ai fait le plein d’amphétamines ! J’adore cette sensation.

Ah ! c’est bien facile d’enseigner dans un autre monde ! Ils n’ont aucun point de comparaison. Ils prennent tout ce que je dis « pour argent comptant ». Aucune constestation. Mais aussi, je serais bien incapable d’entendre leurs critiques, je ne comprends pas leur langue. Entre eux ils ne parlent que le malayalam, jamais l’anglais. Et je ne suis là que pour deux mois, sans objectifs précis à atteindre, sans évaluations à préparer ou corriger. Le seul challenge : qu’ils participent, qu’ils comprennent le sens de ce que je dis et qu’ils réalisent qu’on ne peut apprendre une langue sans comprendre l’importance de la phonétique avant tout, ensuite quelques formules ou expressions indispensables dans la conversation de tous les jours et enfin  la grammaire de base.  Je leur ai dit qu’ils n’avaient aucune excuse pour dire qu’ils n’entendaient jamais cette langue : ils ont tous un téléphone portable et savent tous aller sur YouTube ou autre blog d’apprentissage du français. 
Bien qu’imparfaites, partiales, les nouvelles technologies sont d’une aide précieuse pour l'apprentissage des langues, mais cela impacte les exigences des formateurs et ce fait même  augmente considérablement le stress des étudiants.

Enfin, « je m’voyais déjà… » donnant des cours privés à mon retour. Mais, expérience faite ici avec une étudiante à laquelle je donne deux heures de cours privés par jour, ce n’est pas pour moi. C’est bien trop fatigant, cette proximité, cette attention de tous les instants, tous ces exercices à préparer qu’elle fera entre les cours. 
En conclusion, mon cours, bien rôdé maintenant, je suis partante pour une nouvelle expérience avec d’autres classes si l’on a encore besoin de moi. 

dimanche 8 juillet 2018

Une aventure indienne 5


Saint Joseph
Une aventure indienne 5
Je le savais ! La messe, le dimanche et plus, je n’y couperais pas. C’est une communauté catholique qui m’accueille. Alors autant en profiter pour observer les us et coutumes du lieu.

D’abord, l’aspect général et l’aménagement intérieur des églises que j’ai vues à Calicut. Elles sont très vastes et très hautes et le toit ne repose pas directement sur les murs. L’espace libre entre deux permet le passage de la brise et le chant des oiseaux. Suspendues aux poutres de la charpente, les pâles des ventilateurs d’une grandeur impressionnante font frémir les écharpes des saris et les franges dorées des vêtements des autels. Les pieds nus des fidèles se réveillent au contact rafraichissant des dalles de marbre( ? ) ou de granit( ?). Un quart des praticants du jour y resteront et s’y assieront pendant l’heure et demie que durera l’office, les lourds bancs de bois n’étant pas en nombre suffisant pour accueillir toute l’assemblée.

Si l’on se concentre sur l’observation des statues, des bas-reliefs, des fresques et les nappes(?) des autels, on se croirait dans quelque temple bouddhiste. C’est très coloré, c’est rouge et or, ça scintille de brillants. « Un peu kitsch tout de même ! », diraient certains. Mais ce n’est pas aussi chargé, concentré, aussi confiné même parfois, que dans les temples bouddhistes. Et les personnages représentés ont tous le type européen/occidental. Dans celle d’aujourd’hui, une représentation peu commune de la Sainte Famille : Saint Joseph, et non la Vierge Marie, portant l’Enfant Jésus.

Les officiants. Sous leurs habits de cérémonie, des prêtres indiens, exactement comme les prêtres de chez nous… mais en beaucoup plus jeune ! Depuis plus d’un mois, je n’ai encore jamais vu de prêtres ou autres religieux âgés. Et en général ils sont très grands et très beaux ! Ça aide ! Des servants de messe, il n’y en a pas toujours. Une fois il y en avait huit vêtus comme dans les films de Don Camillo ou les très vieux films français, la longue aube blanche recouverte d’un surpli( ?) rouge. Ce matin, trois jeunes hommes, pantalon noir et longue chemise de coton blanc à col officier. Une belle tenue. 
Les fidèles : à de rares exceptions près, les femmes à gauche et les hommes, moins nombreux, à droite. Quand la messe est dite après un cours de catéchisme, les enfants s’installent sur les bancs de devant : petites filles à gauche (certaines en robes de tulle aux couleurs flashies). La moitié d’entre elles voile d’une mantille de dentelle blanche ou noire une tresse de jais qui descend tout le long du dos . Les garçons, en chemise et pantalon, à droite.  Mais attention, le prêtre, d’un geste péremptoire met un certain ordre là à travers. Le voilà qui place, déplace et s’épare certaines et certains comme au temps de mon enfance. Sauf qu’ici, il n’y a pas d’images saintes à s’échanger. Pas de missel. Rien dans les mains. Et on n ne badine pas.

L’ambiance. Tant qu’à y rester une heure trente autant y trouver du plaisir. J’ai dit aux Sœurs que je préfèrais les messes avec musique et chant. Et ça vaut le coup ? Imaginez un concert du groupe Abba et des  Sweet People  réunis (sans les balancements ni les briquets tendus vers la scène toutefois) mais avec cette énergie et ce swing séducteurs au possible. Croyez-moi, les « Hosanna », « Alleluïa » et autres « Amen » enrobés d’une « crème onctueuse » de malayalam (La Langue Chantante par excellence) chantés par les voix magnifiques de trois ou quatre choristes accompagnées d’un jeune homme jouant du syntétiseur, c’est autrement plus attirant pour le plus grand nombre que n’importe quel chant grégorien d’un quelconque couvent cistercien ! Et autrement plus rassembleur qu’une chansonnette entonnée par une laïque courageuse tentant de réveiller une assemblée de quelques paroissiens cacochymes!
Et c’est sur ces airs entrainants que je vois mon papa, « aux anges », entrainant une de ces splendides paroissiennes recouvertes de soieries scintillantes pour une valse de Vienne ou un slow langoureux devant ma maman si pieuse, évidemment très contrariée, rentrant sa tête dans ses épaules en serrant les lèvres, tentant de se concentrer sur sa prière. 

Quant au déroulement de la messe, il n’en diffère que par quelques détails :
Pour l’offrande, alors que chez nous il n’y a aucune gestuelle concrète d’offrande ou qu’ailleurs en Inde ou en Afrique, on offre un panier de riz, une corbeille de fruits, un grand pain, des gerbes de fleurs ; ici, quelques fidèles viennent en file indienne (sic) l’un derrière l’autre par l’allée centrale portant une enveloppe posée sur une assiette. Devant l’autel, ils sont accueillis par le prêtre qui les bénit d’un signe de croix sur le front puis ils vont déposer leur offrande au pied de l’autel. Pour la quête, une paroissienne nous tend un grand plat de métal. Vous imaginez celui qui ose y jeter une piécette ? Que des billets !
Pour « se donner le signe de paix » c’est bien mieux ici : on ne se touche pas. Personne ne peut s’accorder le droit de pénétrer la bulle d’intimité qui m’entoure et toucher ma peau, mon moi, sous prétexte de fraternité, de paix et Dieu sait quoi encore. Non, ici on s’incline respectueusement vers sa voisine de droite et puis celle de gauche, les deux mains à hauteur du menton. En bref,  le salut habituel ici.
A la communion, un petit autel maintient la distance entre le prêtre, ses aides, et les communiants. L’officiant effleure le vin du calice avec l’hostie avant de la déposer dans la bouche des fidèles. (La 1èrefois, je dirais que c’était un vin blanc doux, une autre fois un vin plus acide et d’autres fois encore, je pense que c’était du porto.) Pas mauvais cette petite touche de goût, parfum d’hostie !

Je le savais : pendant ce séjour, je renforcerais mon avance en matière de pratique religieuse. Toutes ces messes et ces prières ajoutées au tas de mon enfance (messe tous les jours avant d’aller à l’école + chapelet pendant les mois de mai ; messe et vêpres tous les dimanches, confession tous les samedis ; sans compter le nombre de dizaines de chapelet en famille le soir et le réveil en prières le matin) Qui dit mieux ? Le thème du dernier sermon entendu ici en français était : «Installer la nouvelle mise à jour ! « Update ». Comme votre natel, votre foi nécessite une nouvelle mise à jour ». 
Allez savoir pourquoi : je ne suis pas encore tentée par cette mise à jour !
Qui aura un bain de pieds en sortant de la messe un jour de mousson?