jeudi 12 juillet 2018

Une aventure indienne 6

En entrant dans une de mes salles de classe
Une aventure indienne 6

Après vingt-quatre heures de pluie diluvienne, la décision est tombée : pas d’école aujourd’hui dans toute la région. Mais les services administratifs sont là, de même que certains enseignants. Et quelques seminaires ont lieu malgré les conditions de circulation aléatoires, voire dangereuses. Le congé a été annoncé hier soir par les médias. C’est la troisième fois que ça arrive en cinq semaines. Il y a eu aussi la grève des étudiants : deux fois une journée.
La mousson impacte les conditions d’enseignement. Hier pendant mon cours, je devais crier pour me faire entendre de mes étudiants. Il faut vous imaginer une averse continue de hallebardes, claquant sur les toits, les balcons, cinglant les palmiers alentours. Et pour densifier le vacarme : les pales des grands ventilateurs suspendus au plafond car l’atmosphère est comparable à celle de la serre des plantes tropicales au Jardin botanique. A part ça, dans la classe, malgré les très nombreuses fenêtres  donnant sur l’extérieur , une semi-obscurité requiert d’allumer la lumière toute la journée. 

Ils sont 1000 élèves dans cette école. Ils portent un uniforme qui diffère selon les voies d’études. La grande majorité y étudie pour obtenir une Licence (j’enseigne le français aux 1èreet 2èmeannée dans des classes d’environ 20 à 35 élèves). Mais certains préparent un Master alors que d’autres obtiendront un Diplôme. 
Les cours commencent à 9 :30 par une prière chantée au micro, à tour de rôle par une étudiante, puis une brève prière dite au micro. A part ça, aussi  une « Today Thought » que je traduirais par :  « Pensée/réflexion d’aujourd’hui », écrite sur le tableaux noir en classe. Hier dans ma classe c’était « Synergy ». J’ignore s’il y en a dans chaque classe et si elle est différente au gré des professeurs ou des étudiants. 
Entre chaque cours retentit une sonnerie assourdissante. De 12 :30 à 13 :30 c’est la pause repas. Il y a une cantine sur le campus et beaucoup d’étudiants mangent « sur le pouce », comme chez nous, parfois même dans la classe !  Pour le plus grand nombre, les cours se terminent à 15 :30. C’est à ce moment-là que je donne des cours de français aux professeurs intéressés.

Les religieuses cherchaient une volontaire pour enseigner le français à partir de l’anglais à des débutants. Pendant les trois mois précédents mon départ en Inde, j’ai élaboré mon cours de « French Through English » grâce à deux livres de grammaire commandés aux Etats-Unis mais aussi avec le résultat de mes nombreuses recherches sur Internet pour glâner ici et là ce qui me permettrait de donner un enseignement de français « à travers l’anglais » digne de ce nom. Mon année de cours FLE (Français Langue Etrangère) pendant la première année de ma Licence de Français Lettres Modernes, m’a aussi été d’un grand secours.

Présentation PowerPoint, enregistrement PDF, envoi en fichiers joints sur mon adresse mail, exportation sur une clé USB, copie papier du cours ; je m’étais préparée à être à l’aise avec plusieurs supports d’enseignements différents selon ce que j’aurais à disposition. Je me retrouve avec des craies blanches et un tableau noir ! Il y a bien un beamer comme on me l’avait dit, mais il n’y en a qu’un pour tout le département « langues », utilisé la plupart du temps. Je me vois mal l’emprunter tous les jours, moi la vieille Européenne qui vient donner un cours pendant deux mois. Par ailleurs, en 2eannée, je dois utiliser le manuel prévu Echo A1, qui n’est plus disponible tel quel (les élèves en ont des photocopies). Un manuel tout en français, bien conçu pour être une bonne base d’apprentissage de la langue et de la culture de la France. Normalement c’est une religieuse indienne, qui a appris le français en Inde, qui enseigne cette langue. Toutes les écoles de ce niveau de formation, dispensent des cours de français, langue qui conserve un certain prestige ici.
 
6 professeurs se partagent ce bureau et c'est pas grand!
A la sortie de mon premier cours, un étudiant m’a demandé si j’avais lu un écrivain français du nom de Nietzsche Par-delà Bien et Mal. Et trois étudiantes m’ont demandé l’adresse de mon compte Instagram !!! Quand ils arrivent pour le cours alors que le professeur est déjà dans la classe, ils restent sur le pas de la porte jusqu’au moment où on les invite à venir s’asseoir. 
Lors de mon deuxième rendez-vous avec eux, j’ai demandé à chacun de tirer au sort un prénom français, comme dans un jeu de rôles. C’est ainsi plus facile à se rappeler qui est qui. Ils se sont beaucoup amusés avec ça. Bien qu’un peu dissipés, ils sont vraiment sympathiques. Mais comme partout, on dirait que certains n’en ont rien à faire de suivre ce cours. C’est eux que j’interpelle le plus souvent avec mes questions et ça fait bien rigoler les autres. Après le cours, je me sens pleine d’énergie. On dirait que j’ai fait le plein d’amphétamines ! J’adore cette sensation.

Ah ! c’est bien facile d’enseigner dans un autre monde ! Ils n’ont aucun point de comparaison. Ils prennent tout ce que je dis « pour argent comptant ». Aucune constestation. Mais aussi, je serais bien incapable d’entendre leurs critiques, je ne comprends pas leur langue. Entre eux ils ne parlent que le malayalam, jamais l’anglais. Et je ne suis là que pour deux mois, sans objectifs précis à atteindre, sans évaluations à préparer ou corriger. Le seul challenge : qu’ils participent, qu’ils comprennent le sens de ce que je dis et qu’ils réalisent qu’on ne peut apprendre une langue sans comprendre l’importance de la phonétique avant tout, ensuite quelques formules ou expressions indispensables dans la conversation de tous les jours et enfin  la grammaire de base.  Je leur ai dit qu’ils n’avaient aucune excuse pour dire qu’ils n’entendaient jamais cette langue : ils ont tous un téléphone portable et savent tous aller sur YouTube ou autre blog d’apprentissage du français. 
Bien qu’imparfaites, partiales, les nouvelles technologies sont d’une aide précieuse pour l'apprentissage des langues, mais cela impacte les exigences des formateurs et ce fait même  augmente considérablement le stress des étudiants.

Enfin, « je m’voyais déjà… » donnant des cours privés à mon retour. Mais, expérience faite ici avec une étudiante à laquelle je donne deux heures de cours privés par jour, ce n’est pas pour moi. C’est bien trop fatigant, cette proximité, cette attention de tous les instants, tous ces exercices à préparer qu’elle fera entre les cours. 
En conclusion, mon cours, bien rôdé maintenant, je suis partante pour une nouvelle expérience avec d’autres classes si l’on a encore besoin de moi. 

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