dimanche 31 décembre 2017

Ma découverte de l'Amérique 5 (The End)

Boston Common Pond
C'était il y a presque un demi-siècle...

A mon retour en Suisse je reprendrai les études malgré les offres alléchantes envoyées par mon ancien employeur jusque dans ma retraite au Vermont. Et quelques années plus tard, mon diplôme d’infirmière en poche, je retournerai aux Etats-Unis avec Pierre, mon mari,  à Boston cette fois pour  chercher du travail. Mais en vain, car, malgré mon très bon score au TOEFEL (Test Of English as Foreign Language) je n’obtiendrai pas le permis de travail faute d’avoir passé en Europe l’examen appelé communément « Philadelphia » (RN/LPN Licensure by Examination for Foreign Graduates) requis pour l’exercice de ma profession là-bas.

Cependant les deux mois que je passerai de façon indépendante dans cette grande ville me feront découvrir d’autres aspects de la vie quotidienne dans ce pays : la quasi impossibilité de faire un transfert d’argent entre grandes banques depuis la Suisse (déjà alors…) la vétusté des installations dans les appartements (alors même que j’habite dans un beau quartier du centre ville), la saleté des arrières-cours, la méfiance envers ses voisins comme envers les policiers. Mais aussi, les innombrables possibilités offertes à tous de prendre des cours dans tous les domaines possibles avec à la clé un beau diplôme imprimé prêt à être encadré.

C’est alors que je réaliserai que cette ouverture, cette invitation à se former qui veut montrer que là-bas tout est possible (American dream) est en fait un marché mais surtout  un leurre. Car les seules formations de valeur sont impayables pour la grande majorité de la population.  Depuis ce deuxième séjour, je ne parviens pas à prendre au sérieux ce qui vient des Etats-Unis et cela dans tous les domaines : ça fait « amateur », ça fait « bricolé », « cheap ».  De plus, maintenant que nous sommes pris dans La Toile (the web), la méfiance s’y est ajoutée.


Pourtant l’amour de la langue américaine m’attache à jamais aux Américains en tant qu’individus. C’est un amour inconditionnel difficile à expliquer. A chaque fois que j’ai l’occasion d’entendre la langue américaine, de la parler, c’est comme un cadeau sans cesse renouvelé.

jeudi 28 décembre 2017

Ma découverte de l'Amérique 4

Empire State Building 1974
C'était il y a presque un demi-siècle...


Le temps passé avec les enfants ne me laissera que peu de souvenirs. Par contre les moments partagés avec Bob amènent une foule d’images de découvertes heureuses. Il est alors enseignant en philosophie et psychologie à Burlington University et passe plus de temps à la maison que son épouse. Il rêve de racheter une ancienne ferme abandonnée pour y développer un lieu de vie pour adolescents en difficulté. Cette recherche d’un lieu et d’une maison me font découvrir le Vermont dans ses moindres recoins. Je l’accompagne dans ses randonnées à skis de fond, je teste avec lui tous les derniers régimes amaigrissants  à la mode car il craint le surpoids et moi … j’en prends. Il me fait découvrir la musique classique alors que jusqu’ici je n’écoutais que la variété française. Il m’encourage à reprendre des études quand je rentrerai en Suisse.  A la faveur d’une rencontre familiale (la maison, cossue, de ses parents se situe dans le Bronx), Bob me présentera la ville de New York depuis le sommet de l’Empire State Building jusqu’aux étangs de Central Park et la misère des couloirs du métro.
Par chance, notre relation ne souffre d’aucune ambiguïté. Je ne tombe pas amoureuse de lui car je suis complètement folle d’un cinquantenaire à la voix de velours, pas libre.



Malgré ma petite rémunération et grâce à mon éloignement de toute tentation d’achats, je réussis à me payer un abonnement de bus Greyhound pour faire le tour des Etats-Unis durant un mois.  C’est ainsi qu’à la fin de mon séjour, je quitte seule Norwich avec, dans le sac à dos militaire de Bob, une petite réserve de lecture, et un plan rudimentaire d’un trajet qui débutera à Montréal et se terminera à New York. Voyage durant lequel je découvrirai et développerai l’instinct qui me signale les endroits, les atmosphères que je dois à tout prix éviter. Les quelques rencontres que j’ai faites au cours de ce voyage  restent profondément gravées dans ma mémoire. Elles pourraient donner naissance à un autre récit.

lundi 25 décembre 2017

Ma découverte de l'Amérique 3

 C'était il y a presque un demi-siècle...

Les parents ne sortent presque jamais le soir et quand ils  le font, ils m’emmènent avec eux et engagent une autre babysitter pour garder les enfants. Ou bien, comme Bob aime beaucoup aller au cinéma, je vais avec lui et c’est la maman qui reste avec les enfants !
Avec lui je découvrirai un film d’une rare violence qui me fera découvrir l’envers du décor des histoires de batailles entre cavalerie américaine et Indiens. Il s’agit de Soldat bleu qui est tiré de l’histoire vraie du massacre de Sand Creek au Colorado en 1864. C’est le premier film du genre prenant le parti des Indiens. C’est un playdoyer contre la guerre alors que les informations télévisées montrent chaque jour des manifestations populaires contre la guerre au Vietnam.

La télévision occupe une grande place dans la vie familiale et elle joue un rôle important dans mon apprentissage de la langue anglaise. Le rendez-vous quotidien avec l’émission pour les enfants Sesame Street s’est révélé si efficace qu’au bout de trois mois, je n’avais plus de difficulté de communication dans la vie quotidienne. Puis ce seront les journaux d’informations, les reportages, les débats politiques et les commentaires directs des parents qui vont me permettre de développer très rapidement un discours argumenté sur l’actualité en général . (je n’oublierai jamais les invectives adressées par Connie à Nixon par écran interposé : « He is a crook ! » (car je vis le Watergate en direct) et les différences entre les points de vue du Vieux et du Nouveau continent en particulier.

Bien que la frontière québéquoise soit très proche, la famille n’a trouvé personne capable de parler en français avec moi pendant mon séjour chez elle. Je rencontrerai à Dartmouth College (qui est en fait une université) quelques étudiants qui ont pris des leçons d’allemand, plusieurs autres des leçons d’espagnol. Ce manque d’intérêt pour l’apprentissage des langues m’interpelle encore aujourd’hui quand j’ai l’occasion de rencontrer des Américains dans leur pays ou à l’étranger. Pour l’heure, comme il n’y a pas possibilité de prendre des cours d’anglais pour débutant dans la région. Connie, qui travaille à Dartmouth College en tant que biologiste ( elle enseigne et fait de la recherche sur le cancer à Dartmouth Medical School) trouve une professeure disposée à m’intégrer à sa classe d'anglais, seconde langue.
Tous les mercredis matins, la mère de famille me dépose devant un des batiments du collège et je prends place autour de la table avec trois étudiants japonais, un allemand, deux afro-américains, deux indiens Cree et un métis afro-américains/Cree (« celui-ci cumule les handicaps » me dira la prof quand nous aurons fait plus ample connaissance). Car, malgré les apparences et la volonté historique d’intégration de l’institution (quota imposé par le Conseil de Fondation et attributions de bourses)  la ségrégation est visible au quotidien et celle pratiquée à l’égard des Indiens dépassent l’imagination. C’est ce que je vais découvrir dans ce cours qui se base sur la découverte de l’autre par le dialogue. La grammaire en fait partie aussi car mes camarades, eux, devront passer un examen de connaissances de la langue qui décidera si le niveau atteint leur permet d’intégrer la formation universitaire. Notre professeure s’appelle Mimi Sensenig. Elle est d’origine hongroise et a fui son pays pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Elle parle un peu allemand mais pas du tout le français. Elle me ramènera quelquefois chez moi après le cours mais le plus souvent je ferai du « stop »!


La bibliothèque universitaire devient un de mes endroits favoris. On y trouve quelques oeuvres classiques  de Corneille, Racine, Molière, mais c’est toute La Comédie humaine  de Balzac que je vais dévorer pendant les trois premiers mois. Puis ce sera en anglais les sœurs Brontë que j’avais déjà lues en français, Jane Austen, Daphné Du Maurier, mais aussi Bernard Malamud, Arthur Miller, Carson McCullers, Patricia Highsmith, Irving Stone et bien d'autres. Et aujourd’hui encore il me suffit de me plonger dans un roman en anglais pour que ma tête aussitôt se mette à penser dans cette langue.
Dartmouth College 1974

samedi 23 décembre 2017

Ma découverte de l'Amérique 2

C'était il y a presque un demi-siècle...

En congé de week end prolongé, la famille prend grand plaisir à me faire découvrir mon nouvel environnement. A la station d’essence, je fais connaissance avec les « gallons » et un plein d’essence trois fois moins cher que dans notre pays. Au supermarché du village ouvert sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vint-quatre, Connie fait des provisions pour toute la semaine. À la caisse, un employé remplit de très grands sacs de papier kraft, les mêmes que dans les vieux films américains.  En Suisse,  ma mère fait ses achats à l’épicerie du village et malgré le nombre important de personnes à table à chaque repas, elle n’achète que peu de choses (café, thé, sucre et produits de nettoyage) car nous vivons des produits de la ferme et du jardin.  Ici beaucoup d’aliments sont « enriched » comme le lait, le beurre, la farine. Je découvre le jus d’orange concentré congelé,  les corn flakes et un choix énorme d’autres céréales sucrées du matin, le beurre de cacahuètes, les pancakes et le sirop d’érable, le petit déjeuner gargantuesque de Bob avec ses œufs au bacon, cassoulet, champignons et tomates à la poêle, saucisses et röstis. On est bien loin des tartines au beurre et confiture avec la tasse de café au lait du matin de toute ma famille.  Repas de midi et repas du soir sont inversés. A midi invariablement des sandwichs confectionnés avec du pain toast (le seul que l’on trouve ici) dans ses différentes versions plus ou moins complets et enrichis, sandwichs au thon, aux œufs mais le plus souvent au beurre de cacahuètes en variantes sucrées ou salées.

Le souper est servi aux enfants  en fin de journée et quand ils sont couchés, nous adultes, nous installons devant la télévision, chacun dépliant sa petite table devant soi pour y déposer son assiette.  On peut aussi acheter des « TV Diner » sorte de plat individuel compartimenté avec menu complet. Le jour de mon anniversaire, la famille m’emmènera dîner chez McDonald. Ils ne croient pas qu’il n’y en a pas en Suisse (le 1er sera ouvert à Genève en 1976).


Pour  un salaire de dix dollars par semaine, je suis chargée de faire le ménage, la lessive et m’occuper des enfants. Mais Lizzie et Larry vont à l’école chaque jour de huit heures à quatorze heures et Debbie va au jardin d’enfants dans une ferme pendant ces mêmes heures.  Ils emportent un sandwich au « peanutbutter » avec un petit berlingot de lait dans leur jolie « lunchbox ». Le repas du soir est préparé par les parents. Quant au ménage, je suis tellement habituée à y travailler dur dans la ferme de mes parents que nettoyer les pièces ici ressemblent à un jeu. En ce qui concerne la lessive, je dois la faire tous les jours mais on met tout dans la machine, on saupoudre d’un peu de lessive et le programme de lavage ne dure qu’un petit quart d’heure. Puis on met tout au séchoir. On ne connaît pas le repassage !

lundi 18 décembre 2017

Ma découverte de l'Amérique 1

 
Paysage du Vermont en 1973  USA
C’étail il y a presque un demi-siècle ; j’avais vingt ans et j’étais encore( ?)  déjà ( ?)  une vieille enfant.

Mon apprentissage de jeune fille au pair commence  dans le hall d’arrivée de l’aéroport de Boston. « Parents » pour moi ça veut dire « vieux », vieux comme mes propres parents, mais eux ont l’air beaucoup plus jeunes que moi. Si jeunes qu’ils pourraient être mon frère et ma sœur. Bob (Robert) et Connie (Constance) sont les parents des trois enfants dont je vais avoir à m’occuper ces prochains mois. Tenue d’étudiants en vacances, décontractés, très souriants, expansifs, ils m’accueillent comme si j’étais une de leurs camarades de collège.

Après une petite heure de voyage silencieux – je ne connais pas un mot d’anglais et ils ne savent pas le français – nous sommes accueillis dans une grande maison de Swampscott,  banlieue chic en bord de mer. C’est la maison familiale des parents de Connie. Ils sont là, avec les trois frères , la sœur et son mari et : Lizzy (Elisabeth) 7 ans,  Larry (Lawrence) 5 ans, Debbie (Deborah )3 ans, les trois enfants de Connie et Bob . Tous les membres de cette famille, à l’exclusion du beau-frère, sont plus petits que moi. Tous sont très mal habillés - Droits en avant, disait ma maman en parlant des personnes  qui ne soignaient pas leur apparence physique et vestimentaire – alors que moi j’ai mis mes habits les plus chics pour faire bonne impression dans ce milieu de professions libérales (médecin, avocat, professeur d’université).  Et puis, ma passion c’est la mode.  C’est pour l’assouvir que j’ai rejoint le monde du travail à seize ans (déjà une vieille enfant).  Issue d’une famille nombreuses à la compagne,  il me fallait trouver une source de revenus pour vivre comme je l’entendais.

Tout le monde prend place autour de la table incroyablement chargée de victuailles. On m’a placée à côté du beau-frère qui parle un peu français. Il fait les présentations et m’explique la raison de cette rencontre de famille.  Nous sommes le quatrième jeudi de novembre, Thanksgiving. C’est  «La Fête » aux Etats-Unis, familiale par excellence. Je n’en avais jamais entendu parler. Je découvre avec grand plaisir : la dinde farcie, la purée de patates douces, la confitures d’airelles,  le pain de maïs et la tarte aux noix de Pécan.   

Les trois enfants me détaillent pendant que les autres me questionnent par beau-frère interposé. Est-ce que mon père est banquier, car c’est, à leur connaissance,  la profession exercée majoritairement dans mon pays. Est-ce que je connais le « bon mot » suivant : « Quand tu vois un Suisse sauter par la fenêtre, suis-le car  là où il va il y a de l’argent ! »
Comment prononce-t-on mon prénom ? Et les enfants de s’esclaffer en entendant la traduction Mary Christmas. Et mon nom de famille ? G u é ? Comme gay ? « ça ne doit pas être facile tous les jours de porter un tel nom de famille ! » Pourquoi me disent-ils ça ? »
Et je crois que c’est à cette occasion que j’entends le mot « homosexuel » pour la première fois de ma vie ! (Quand je vous dis : encore une enfant…)


A la tombée de la nuit nous prenons la route pour la Nouvelle Angleterre, les trois enfants dans le cocon rempli de coussins de la voiture de Connie. Alors que je m’installe dans la deuxième voiture, au côté de Bob.  Après trois heures de route, la neige ralentit notre allure. « Five minutes » me dit mon chauffeur alors que la voiture quitte la grand-route et s’engage dans une petite route forestière qui monte en lacets, laissant apparaître ici et là quelques rares habitations de bois sombre, de construction très moderne : immenses baies vitrées et larges terrasses. Peu après avoir franchi le plus haut point de la colline, la route s’arrête devant une magnifique maison de bois dont la couleur et l’architecture se confondent  avec l’environnement boisé comme je le constaterai le lendemain au réveil.  Toutes les pièces de la maison, sauf  les salles de bain, ma chambre et le bureau de Bob à l’entresol, donnent sur un pré en pente légère orienté sud-ouest et un horizon  lointain de collines boisées qui me font penser au paysage jurassien.

lundi 11 décembre 2017

La désinformation: quelques mots, quelques phrases

Dessin de Côté paru dans Le Soleil Québec (reproduit dans Courrier international )

"L'ère de la désinformation"
C’est le thème du Hors-Série du Courrier International des mois d’octobre, novembre et décembre 2017. Je l’ai lu dans son intégralité et je partage ici quelques lignes  que j’en ai ressorties et quelques leçons que j'en retire. Mais je vous invite bien sûr à le lire vous-même pour en tirer vos propres enseignements. Tout d’abord, quelques définitions pour savoir de quoi on parle.

Fact-Checking : "littéralement « vérification des faits », l’expression est souvent associée à des sites qui contrôlent l’exactitude de certaines informations en ligne. (ex. en Italie : Pagella Politica) Dans tous les Etats dotés de telles instances de vérification, le discours politique comporte moins de fausses informations et de semi-vérités". Mais il y a un risque bien réel, la surrèglementation avec par exemple un Ministère de la Vérité dirigé par qui et pour qui ?

Fake news : ce sont des histoires délibérément construites sur les médias sociaux afin de gagner de l’argent ou pour atteindre un objectif politique précis. Les fake news sont conçues pour se répandre comme une traînée de poudre et c’est pourquoi elles s’appuient généralement sur nos réflexes, comme l’indignation, et portent sur des sujets accrocheurs : les réfugiés, les abus sur les enfants, la guerre et la paix. La nouveauté est qu’un seul individu peut désormais diffuser ces informations mensongères à grande échelle. Ce problème nouveau et bien réel diffère des ragots de la presse à scandale, des théories du complot et des légendes urbaines.

BOT : logiciel informatique conçu pour agir de façon autonome. Il désigne souvent un programme qui mime une action humaine de façon si parfaite qu’on ne distingue pas le bot de l’internaute lambda. Il peut être programmé pour diffuser et amplifier des messages sur internet, spammer et saturer un site. Il peut être utilisé par exemple pour faire des modifications dans les archives induisant en erreur les chercheurs.

ALT-FACT /Faits alternatifs : grossiers mensonges. Le concept de « faits alternatifs » laisse entendre qu’il n’y aurait pas de mensonges mais uniquement des divergences d’opinion.

Post-vérité (Relativisation de la vérité) Quand les mensonges n’ont plus d’importance ou lorsque la résonance émotionnelle des affirmations mensongères importe plus que leur exactitude factuelle. Autrement dit : quand les faits objectifs ont moins d’influence sur le façonnement de l’opinion que l’appel aux émotions et aux croyances individuelles.
L’esprit civique doit résister avec ténacité face à ceux qui racontent des contrevérités, des demi-vérités et des mensonges éhontés. C’est le seul moyen de lutter contre la post-vérité.

Facteurs facilitant les fake-news :
- Dans certains pays, la barrière de la langue et la difficulté d’accéder à des sites étrangers facilitent la production et la diffusion des fake-news.
- Dans un monde où la vérité – notre outil de communication – perd du terrain, les fake news cessent de paraître fallacieuses. 
- Faiblesse de la culture de la lecture face à un nombre d’usagers de téléphone   portable élevé.
- Accroissement considérable de la charge d’informations reçues. Distraits par toutes ces informations que nous consultons, nous sommes incapables de voir l’éventail complet des arguments potentiels ou des aspects d’une information.
- Les gens se rassemblent dans des bulles sociales ou idéologiques. Ne suivre que des gens qui nous ressemblent sur les réseaux sociaux fait office de caisse de résonance nous exposant davantage à la désinformation.
- Le piège c’est d’accepter  cette affirmation de plus en plus répandue : « Même si ce n’est pas la vérité, ça pourrait l’être ».
- La politique a tendance à se transformer en une branche du show-business, avec la course à l’audience.

La désinformation n’est pas une question politique de droite/gauche, C’est un phénomène autrement plus vaste. « Au fond, la question est la suivante : voulons-nous pérenniser un système d’échange d’informations, d’analyses approfondies et d’examens des faits ? Ou voulons-nous nous enfoncer dans un vaste marécage émotionnel où nous serons bombardés d’affirmations numériques et contraints de nous regrouper dans des bulles défensives où le discours démocratique n’aura plus aucune signification ? » Matthew d’Ancona
La question est aussi de savoir si les gens sont plus disposés à se cramponner à leur notion tribale ou personnalisée de la vérité, ou s’ils perçoivent de la valeur dans les choses qui sont vraies parce qu’elles sont simplement vraies.


Mesures concrètes souhaitables
-       Apprendre à utiliser le Web de façon  intelligente et avertie dès l’âge de 5 ans
Se méfier: - Si l’URL contient des éléments suspects ex. (xyzcourrierinter.fr.co)
-        S'il y a des problèmes de ponctuation, de grammaire, d’orthographe
-       On ne connaît pas la source de l’information ? Aller voir ce que contient la page « About us » ?

La vérité résiste à l’épreuve du temps Asad Latif  Journal de Singapour The Straits Times le 20 août 2017, Courrier International (Hors-série cité ci-dessus)

C’est la reconnaissance de faits irréductibles qui, en dernier ressort, rend possible une société. Matthew d’Ancona Sur le site 52 Insights, Royaume-Uni, Courrier International (Hors-Série cité ci-dessus)

mercredi 29 novembre 2017

Une petite fable

Coup de froid sur l'étang

La fourmi qui s’en alla pour apprendre

Il était une fois une petite fourmi. Une fourmi exactement comme toutes les autres, qui avait fini sa journée de travail.
-       -  Que vais-je faire jusqu’à la nuit ? se dit-elle. Me reposer en buvant du thé tout en mangeant des biscuits ? Lire un roman ? 
Et si j’allais visiter les autres fourmis, mes cousines ?  J’aimerais embellir ma fourmilière, j’ai envie de voir comment elles s’y prennent.

Elle prit son sac à dos après y avoir mis un mètre, un crayon, un petit carnet et un parapluie. Elle sortit de  son domaine : une roseraie au cœur de la ville. Elle laissa les chemins de bitume et arriva bientôt à l’entrée d’un jardin potager. Elle aperçut une de ses cousines derrière un grand tas de légumes, et s’en approcha.
-       - Hello, ma cousine ! Il est magnifique ton jardin ! On peut dire que tu as la main verte : que de fruits, que de légumes.  Quelle abondance ! Mais quel entassement : il y a les pourris, il y a les pas encore mûrs, il y a les trop mûrs et dispersés, par-ci par-là, les meilleurs. Oh ! comme j’aimerais en avoir des comme ça… Peux-tu m’apprendre comment on les cultive ?
-       - Alors tu vois, j’ai toujours été si occupée à y travailler que je n’ai jamais eu le temps ni la force de les trier et personne pour m’aider. Et puis, on ne sait jamais ce qui peut nous arriver dans la vie. Au milieu de tout cela, je suis sûre de ne manquer de rien. Et ça coupe le vent. Bien sûr que ça fait beaucoup, mais quoi enlever ? Où commencer ? Regarde ici dessus, je viens de semer une nouvelle ligne de carottes, et là en bas j’ai repiqué des fraises. Approche-toi un peu. Pourquoi ne m’aiderais-tu pas ?
L’apprentie fourmi s’avança entre deux entassements et la voilà qui se retrouve « les quatre fers en l’air » après avoir glissé sur une patate pourrie.
-       -       Oh ma pauvre ! Fais attention. Tu sais ici, c’est pas comme ça qu’on avance. Je suis une artiste moi. Et chez les artistes, cette organisation qui semble chaotique aux non initiés, mais c’est là le terreau de la création ! T’as rien compris !

-       -  Alors excuse-moi pour le dérangement. Je te quitte car je vois qu’il n’y a pas de place pour deux chez toi... et bientôt plus pour toi non plus.

Et la petite fourmi repris son chemin. Elle s’en alla d’abord nettoyer ses pattes et son derrière dans la gouille la plus proche. Puis elle traversa un pré fleuri de bleu et, après avoir contourné le champ de colza parfumé de jaune, elle pénétra dans la magnifique forêt. Et là, au milieu d’une  clairière, elle entrevit une de ses cousines qui s’agitait dans tous les sens.
-       -  Hello ma cousine ! Elle est à toi cette belle forêt ?
-       -  Ouiiii… On la voit de loin, n’est-ce pas ? Elle est très connue tu sais.  J’y travaille depuis longtemps.
-    -  Il y en a des arbres ! et de toutes tailles ! Et ces fougères partout ! Mais ces amas de ronces qui pourraient bientôt envahir tout l’espace, c’est à dessein ? Oh ! ces essences rares, elles sont bien cachées. Tu arrives à faire pousser ça ? Ici ? Peux-tu m’apprendre comment on les cultive ?
La cousine, chargée de branchages, tenta de se faufiler entre cet enchevêtrement de branches cassées, ronces, lianes, oiseaux de paradis, héliconies, roses de porcelaine et autres frangipaniers. Retenue par sa jupe accrochée  dans les mûriers sauvages, elle recula en invitant l’apprentie fourmi à s’approcher d’elle.
-      -   Est-ce que tu as de quoi tailler un tout petit tunnel pour que l’on puisse se rejoindre ? demanda celle-ci en trébuchant sur une souche pointue qui lui lacéra la cheville gauche.
-       -  Oh ma pauvre ! Fais attention. . Je ne peux rien enlever à tout ça. Comment peux-tu t’imaginer que je puisse tailler quelque chose ici ! Tout ce qui est là est à moi. Ça m’appartient. C’est ma vie ! C’est ma part d’héritage familial, c’est mes formations, c’est mon expérience.  Tailler ce serait déjà mourir un peu. Mais attends, ramasse déjà tout ce qu’il y a ici tout autour et pendant ce temps je vais faire quelques aménagements.
Alors l’apprentie fourmi se mit au travail et se réjouit de pouvoir bientôt s’approcher des beautés du lieu. Mais quand elle leva les yeux de son ouvrage, elle ne vit plus sa cousine. Celle-ci avait fait des entassements de branchages, de fleurs fanées, de feuilles mortes, mais aussi de fleurs dans tout leur éclat. Des entassements si hauts qu’on ne la voyait plus. L’apprentie fourmi tenta de regarder au travers de la végétation mais, ce faisant, elle faillit faire s’écrouler l’édifice.
- Ah non, fais attention ! Tu sais ici, c’est pas comme ça qu’on avance. Je suis une artiste moi. Et chez les artistes, cette organisation qui semble chaotique aux non initiés, mais c’est là le terreau de la création ! T’as rien compris !
-                       -  Alors excuse-moi pour le dérangement. Je te quitte car je vois qu’il n’y a pas de place pour deux chez toi... et bientôt plus pour toi non plus.          


C’était la tombée de la nuit maintenant. A l’orée de la forêt l’apprentie fourmi s’empara d’une feuille de plantain et la fixa sur sa cheville blessée. Elle prit la direction de sa fourmilière. En cheminant elle cueillit quelques lotiers des prés au bord du chemin, en fit une guirlande qu’elle suspendit sur sa porte en rentrant chez elle. Dans son sac à dos, avec son mètre, son crayon, son petit carnet et son parapluie, sa découverte: que son avoir le plus précieux était: la légèreté et la liberté. A l’intérieur de la fourmilière, elles étaient toutes là. Dans le grand espace vide, au centre de la maison elles dansaient, enivrées du parfum  de bois de rose L’ESSENTIEL.  

mercredi 1 novembre 2017

L'art contemporain m'interpelle...


... et vous aussi, peut-être. 

Il m’arrive de feuilleter et même de lire cette revue. C’est du beau papier glacé et il y a de magnifiques reproductions de chefs-d’œuvre de la peinture, de la photographie, du design, de la joaillerie et de l’architecture, entre autres. Un article intéressant sur une œuvre (celle de Paolo Uccello XVe s. ce mois-ci) ou sur une période (le maniérisme florentin du XVIe s. No de septembre 2017). Et de superbes  « Hors-séries ». 
Mais, malheureusement pour moi qui m’intéresse à l’art et son rôle avant tout, le thème dominant y est le marché de l’art avec ses galeries, ses foires, ses musées, ses expositions, les œuvres à acquérir et leur prix. Des interviews et des reportages sur les  « artistes » actuels favoris des investisseurs et des institutions: Sophie Calle et Camille Henrot, pour n’en citer que deux.

Quand quelque chose m’interpelle je cherche à m’informer pour éviter la critique trop simpliste jaillissant du cœur. Or, même si quelque part je le savais déjà, j’ai encore de la peine à intégrer le fait que dans l’art contemporain il n’est plus du tout question du « Beau ». C’est confirmé, c’est admis comme une vérité incontestable: ce qui a trait à « l’émotion esthétique » a disparu. Alors le dessin ci-contre de cette Camille Henrot m’étonne un peu moins. Mais je ne peux m’empêcher de me sentir un peu déstabilisée malgré tout.

Heureusement, il y a YouTube ! Je ne sais pas vous, mais moi c’est fou ce que j’apprends par le biais de cette plateforme. Et j’ai vu que je ne n’étais pas la seule à me sentir déstabilisée. Mais heureusement, des personnalités reconnues dans leur domaine d'expertises suggèrent quelques explications. En effet, Il y a des gens très qualifiés qui, avec un discours compréhensible, arrivent à m’apporter beaucoup d’éléments de réponses. 

C’est pourquoi je me permets de conseiller, à ceux d’entre vous qui vous poser cette même question, d’aller écouter sur YouTube: Aude de Kerros, très factuelle, (L’Imposture de l’art contemporain : du discours à la finance); et/ou Franck Lepage, plus critique: L’art contemporain (version d’Aurélien Biard en 32 min.)

Mais comprenez-moi bien, il est des œuvres et des artistes contemporains qui m’enthousiasment, ceux qui « du réel tirent l’éternel » (Derain). Ils possèdent une caractéristique commune, celle de l’excellence dans la connaissance et dans la pratique de l’outil. En voici trois exemples parmi d’autres: Fabienne Verdier et son travail à l’Encre de Chine, le Béjart Ballet et la danse, Albert Sauteur et sa peinture à l’huile. Citer certains c’est laisser dans l’ombre les autres, pardonnez-moi!


lundi 23 octobre 2017

Dégâts d’image


Cette expression utilisée dans les domaines politique et économique, je la transpose ici dans le domaine psychosociologique. Parce que le contenu de notre discours peut être délétère pour l’image que l’autre se fait de nous. Cette formulation s’est imposée à mon esprit suite à  l’exclamation suivante qui me fut adressée il y a peu: « Ça je ne pourrais jamais ! » Je l’ai reçue alors que je me situais en mode « émotionnel », donc je l’ai traduite comme une critique personnelle plutôt que comme un avis personnel sans plus. Car je ne crois pas me tromper en constatant que, pour beaucoup, les vacances au camping, ça fait vraiment très « ordinaire ». Conséquence: une cascade de souvenirs ayant comme caractéristiques le fait de me rappeler ma situation originelle. 

Le contexte
L’ interlocuteur vient d’un autre monde, un monde situé à des années lumières du mien. Par 
miracle ou magie, un fil ténu mais durable nous relie. Lors de notre dernière rencontre, il me parle d’une de ses invitations à laquelle je n’ai pas répondue. Je lui en donne la raison: « J’étais en vacances ... au camping! » Et c’est là qu’il me rétorque: « Ça je ne pourrais jamais ! »

Des souvenirs 
Les années d’école secondaire dans une école privée où la grande majorité des élèves étaient des filles de familles citadines aisées, merveilleusement bien habillées, faisant des prouesses en salle de gymnastique. Ce lieu et cette discipline, quelle découverte ! Et la piscine ! Nous étions deux, pâles comme des cadavres, accrochées au rebord du bassin où nous n’avions pas notre fond, attendant que les autres aient « fait leurs longueurs » ou exercé leurs plongeons.
Les amours adolescentes et le regard fuyant (au mieux) ou méprisant de ceux qui faisaient battre le cœur. 
Le milieu professionnel où certains médecins-chefs ne daignaient pas saluer en arrivant et 
donnaient les « ordres » sans un regard.
Les séances de travail en tant que déléguée de l’ASI, avec les directeurs des départements cantonaux des affaires sanitaires et des membres de la FMH pour la reconnaissance de la profession et son besoin d’intégrer les filières de formation normales, prises de parole et tours de tables polis mais l’atmosphère y était étouffante de condescendance. 
Ce sont là quelques exemples qui me reviennent en mémoire aujourd’hui parmi bien d’autres. 


Tentative de compréhension 
Ce que je nomme « mondes » le sociologue Bourdieu, les appelle « champs ». Les habitants de ces « mondes » se définissent comme les individus qui, reconnus par leurs pairs, sont en mesure de se soustraire à des intérêts externes, d’apprécier la valeur d’enjeux internes, d’agir selon des normes, se distinguant de la sorte des autres hors champ, en vue de faire ce qu’ils sont les seuls capables de faire. Il existe donc des conditions plus ou moins formalisées pour entrer et existerdans un monde.

Pierre Bourdieu met l’accent sur la capacité des individus en position de domination à imposer leurs productions culturelles et symboliques. Il parle même de violence symbolique pour définir la capacité à faire méconnaître l’arbitraire de ces positions symboliques, et donc à les faire admettre comme légitimes. 

Ce qui donne de l’audace
Les lectures qui enseignent ce qu’est la liberté et la responsabilité que l’on se doit de donner à sa propre existence. Les formations de toutes sortes. La famille, proche et élargie. Les amies au fil des âges de la vie.  Le « faire », peu importe le domaine dans lequel il s’exerce. (Ce « faire » où  il arrive parfois de frôler d’autres mondes). 

Au camping
Au cœur de la nuit, seul le cinglement soudain de la pluie sur le toit parvient à déchirer le silence. Ce silence absolu, absent des nuits au 6e sur le boulevard.
Seule et pourtant jamais seule. Il y a toujours quelqu’un prêt à venir à l’aide. Une coquille petite mais solide qui contient tout ce qu’il faut. La lumière y pénètre de partout. Devant, une terrasse abritée pour goûter à l’air de la campagne et aux chants d’oiseaux. Tout autour des haies fleuries soigneusement taillées par les jardiniers.
Dans la quiétude de cet ermitage, le doux chant automnal du rouge-gorge qui sautille dans l’herbe devant la terrasse du mobilhome interrompt la rêverie. Midi: il est temps d’aller nager dans la piscine chauffée du camping. 

Ma vie en deux mots:  « Ça je pourrais ! » Quelle richesse...

mercredi 4 octobre 2017

Un souvenir de Laconie


Ste Sophie XIIe s. / Monemvasia
Monemvasia, l’endroit peut-être le plus touristique de la Laconie en Grèce. Un Mont-St-Michel en miniature, mais ocre et grillé par le soleil, il faut monter sur le rocher pour admirer Ste Sophie, cette église du XIIe s. magnifiquement restaurée il y a peu, et les toits de la ville sur fond de mer turquoise intense.

Tes blanches mains
Qui imprégnaient de baumes nos plaies
Se convulsent à présent liées dans le dos
Sur la croix de ton corps
Comme si elles étaient, ma sœur,
Des mains de larron.
Ton corps frêle s’enveloppe
Du manteau de cendre de la démence.
Tes yeux en sont restés
Deux tours de verre inhabitées
Et y tournent égarées
Les ombres du passé.
Te souviens-tu ?
Elle t’avait jadis offert, la mère,
Une robe rose
Et un petit parapluie rose.
Tu grimpais la pente fleurie
Dans le matin printanier
Aérienne et diaphane
-       une nuée rosée de lumière.
Tu regardais le ciel
Comme si quelque chose d’en haut t’invitait.
Seules les nattes affligées
De tes cheveux noirs
Alourdissaient tes frêles épaules.
J’avais peur qu’en un instant tu ne périsses
Semblable à la lumière rosée
Dans le couchant.
Je me penche près de toi et je t’apporte
Nos matines enfantines
Pour que tu respires profondément
L’odeur salée de notre île,
Les murmures du soir
Et ayant traversé la brume du retour
Que tu abordes à mon côté.
Dans la petite ruelle aux pavés millénaires, il est une minuscule échoppe où beaucoup trouvent de l’eau pour adoucir les assauts d’un roi Soleil trop fougueux. Sur la porte ouverte,  deux ou trois longues élastiques retiennent inclinés des petits livres à la  révérence discrète. Surprise ! Quelques uns sont en français.  
Mon frère Michel choisit un guide historique de la ville. Il nous en parlera au souper, sur la terrasse ombragée par les tamaris du port de Néapoli où nous séjournons. Ma sœur Blandine emporte un petit ouvrage de Georges Vizyinos, Le péché de ma mère. « Impressionnant ! » me dira-t-elle un peu plus tard. Quant à moi, je tombe par hasard sur un poète du lieu, à la destinée peu commune  (comme on peut le lire sur Internet): Yannis Ritsos. Un tout petit livre en deux langues : grec à gauche et sa traduction française sur les pages de droite. Le Chant de ma sœur. L’auteur adresse un long poème à sa sœur aînée Loula, enfermée dans un asile psychiatrique. Ce sont quelques extraits de ce beau texte, que j’avais envie de partager ici avec vous. Il va sans dire que je vous invite à lire cet écrivain mondialement reconnu, né en 1909 et mort en 1990.

mercredi 9 août 2017

Despacito ou Carmen à Porto Rico

Despacito ou Carmen de Porto Rico (aquarelle)

Nous avions dix ans et peut-être un peu plus quand, en « faisant la vaisselle », ma sœur et moi chantions à tue-tête quelques airs de Carmen gravés sur un petit « 45 tours de plastique » qui ondulait sur un tourne-disque ramené du « grâble » (décharge à l’air libre à quelques centaines de mètres de la maison, dans la pente vers le Ruz d’Orgoille). Dans le petit échantillon de disques envoyés par ces éditions qui venaient nous harponner par la main du facteur, il y avait deux autres disques dont je ne garde aucun souvenir. Premiers frémissements de nos cœurs pré-adolescents, la force de la passion contenue dans ces paroles, dans ces rythmes nous faisait-elle déjà vibrer ? Cette Carmen de Bizet que j’ai vue au cinéma, que j’ai entendue souvent par la suite, hantée par ces premiers airs de mon enfance,  hier,  cette brève nouvelle sur le site de la RTS m'y a fait penser: 

« Le 5 août 2017 à 10:53, le clip de la chanson "Despacito" est devenu vendredi la vidéo la plus visionnée de l'histoire de la plateforme YouTube, signe de la popularité planétaire de ce tube venu de Porto Rico. Avec plus de 3 milliards de vues, "Despacito" a dépassé le titre "See You Again" du rappeur Wiz Khalifa (…). Mi-juillet, "Despacito", interprété par le chanteur portoricain Luis Fonsi, était déjà devenu la chanson la plus jouée en streaming de tous les temps. »

Curieuse, je l’ai visionné moi aussi et, il m’a beaucoup plu. Et pas seulement à cause de sa chorégraphie… torride ! Ou racoleuse diront certains.

-    Au-delà de la vidéo en elle-même, il y a la simplicité des quelques accords de guitare du début de la mélodie puis le développement du thème avec les autres instruments qui vont donner ce rythme « latino » irrésistiblement entrainant. Enfin la voix  séduisante de  Luis Fonsi proférant en espagnol, les phrases du désir érotique dans la langue de la rue.
-       Le décor : un bord de mer, pas franchement idyllique, sous le soleil des tropiques, des bâtiments déliquescents, des graffitis, des maisons claires et colorées dans des ruelles pauvres et du linge suspendu dehors: le décor de la vraie vie dans les bourgades de l’île, probablement. Et un bar bondé sous les lueurs des petites ampoules suspendues le long des murs.
-       Les gens : un peu tout le monde, des jeunes aux tenues et à la gestuelle suggestives, aux bijoux kitchs ; des enfants, des petits garçons surtout ; des vieux mais pas de vieilles (tant il est vrai que partout, plus ou moins tôt… ou tard, on atteint toutes le stade de la transparence… ou de la cuisine et de la lessive !) Un souffle chaleureux, des regards ouverts, accueillants, comme une paix chaude et tendre dans la pluie solaire d’un éternel été.
-       La Femme, apparition de l’idéal et du rêve. Flamme ondulante allumant, d’un baiser sur le front, petits garçons timides et vieux hommes joueurs. Comme sortie d’un magazine de mode : plastique irréprochable avec des formes là où elles doivent être, chevelure abondante ondulée et brillante, maquillage parfait, vêtue juste ce qu’il faut au dehors dans la journée et un rien de robe dorée pour danser dans la moiteur du bar le soir.
Le scénario du clip est placé sous le signe de l’oxymore. Son titre tout d'abord, Despacito dont la traduction française est « lentement ». Or tout est rapide : le rythme de la musique, la danse, la succession des séquences filmées. Les contrastes visuels s’imposent immédiatement : la pâle statue de la Vierge dans sa boîte de bois blanc et la Femme sensuelle émergeant de l’ombre d’une ruelle ; la richesse colorée du dénuement de ce bourg ; le rythme de la musique et de la danse dans l’Histoire arrêtée de cette communauté. L’éclat de l'impudeur de la danse, du risque des corps sous le voile diaphane des sentiments : amour, amitié, fraternité, respect.


Ce clip très étudié dans le but de plaire au plus grand nombre, ne survivra pas aussi longtemps que l’opéra de Bizet. Mais il nous touche. Faire vibrer nos cœurs par la musique, par la voix et par l’image, il y réussi. Alors, trêve de snobisme, on met le volume à fond et on esquisse quelques pas de danse… despacito.